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Une réputation forgée dans le métal – Le Sahel

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Dans la commune urbaine de Birni N’ Gaouré, le nom de Mounkaila Oumarou dit Kailou Soudure est synonyme de savoir-faire en matière de fabrication d’objets métalliques. Né en 1962 dans le village de Notinguel appelé aujourd’hui Moubena (Région de Dosso), il est l’héritier d’un savoir-faire artisanal fruit d’un apprentissage précoce auprès de son père, et affiné au fil des années. Âgé aujourd’hui  de 63 ans, Mounkaila est l’un des rares forgerons de la région à maîtriser certaines techniques complexes de fabrication. Depuis plus de 40 ans, il est à la tête de son entreprise Niyya qui est spécialisée dans la fabrication des charrues, charrettes, brouettes, différents types de machines, moulins, systèmes d’irrigation, forages, grillages, houes, binettes et autres équipements essentiels aux agriculteurs. Au fil des décennies, Niyya est devenue une référence locale, répondant aux besoins des agriculteurs et des collectivités en matière d’équipements adaptés aux réalités du terrain.

Installé le long de la RN1 à l’entrée de Birni N’ Gaouré, sous un hangar en tôle, l’atelier Niyya est un univers où l’odeur du métal chauffé se mêle aux sons rythmés des marteaux et des machines. A l’entrée, on y découvre un vaste espace parsemé de structures métalliques de tous genres. Des équipements finis, charrettes, et machines, sont soigneusement alignés à la devanture, attendant des potentiels acheteurs. Au milieu de cette scène, plusieurs jeunes hommes s’affairent. L’un manie la meuleuse avec précision, des étincelles jaillissent, un autre découpe une tige de métal à la scie. Plus loin, un apprenti martèle bruyamment un axe avec un rythme régulier. Les sons se mêlent, le grésillement du soudage, le tintement des outils et les discussions en zarma ponctuées de rires tout en travaillant. Au fond  de cet atelier, un coin est réservé aux réparations des pièces usées. Déformées par l’usage, elles attendent leur renaissance entre les mains expertes de M. Mounkaila et de ses employés.

Faire de la forge un véritable métier d’expertise

Dès son plus jeune âge, raconte-t-il, Mounkaila Oumarou baignait dans l’univers du métal. Son père, artisan reconnu, lui a transmis les secrets du métier et l’amour du travail bien fait. Cependant, Mounkaila Oumarou a fait le choix de ne pas se contenter de l’héritage familial. Animé par la passion et le désir de perfection, il a décidé d’aller plus loin, en approfondissant ses compétences pour faire de la forge un véritable métier d’expertise. « J’ai choisi de l’approfondir en suivant une formation de sept années à Dosso, au cours de laquelle j’ai pu perfectionner mes techniques et en apprendre de nouvelles. J’ai aussi suivi des formations pratiques au Nigeria, au Burkina Faso et au Mali, » a-t-il affirmé.

Dans son atelier, les charrues pour vaches, indispensables aux travaux agricoles, sont vendues entre  60 000 francs CFA et  80 000 francs CFA en fonction du modèle. Selon ses explications, les charrettes sont confectionnées avec soin, celles destinées aux vaches coûtent environ 200 000 francs CFA, tandis que celles pour les ânes sont proposées à 150 000 francs. Les portes métalliques, quant à elles, varient entre 30 000 et 100 000 francs, selon le modèle et les dimensions. Spécialisé aussi dans la fabrication de machines destinées à la transformation agricole, Mounkaila Oumarou propose des décortiqueuses manuelles d’arachide au prix de 60 000 francs, et des extracteurs manuels d’huile à 30 000 francs CFA. Le four artisanal, utile pour les activités de transformation, est accessible à 35 000 francs CFA. Les équipements motorisés ne sont pas en reste. Les machines électriques, selon leur taille et leur usage, coûtent entre 200 000 et 250 000 francs CFA. Le moulin, outil clé pour la transformation des céréales, est vendu à 150 000 francs CFA. Les décortiqueuses électriques d’arachide, atteignent 300 000 francs CFA, et les modèles les plus sophistiqués d’extracteurs d’huile peuvent aller jusqu’à 400 000 francs CFA. Enfin, pour les éleveurs, Mounkaila propose des équipements destinés à la production d’aliments bétail, dont les installations complètes peuvent coûter de 750 000 à 1.000.000 de francs CFA.

Un métier peu valorisé malgré son importance 

Avec plus de  40 ans d’expérience, Mounkaila Oumarou voit son métier évoluer mais aussi souffrir d’un manque de reconnaissance. Il observe, avec regret, que de nombreux Nigériens préfèrent acheter du matériel importé, souvent plus coûteux et inadapté aux conditions locales, plutôt que de faire appel aux artisans locaux qui maîtrisent les besoins du pays. Pour lui, cette tendance est un frein au développement de leur activité. «  Les gens pensent que ce qui vient de l’extérieur est forcément meilleur. Pourtant, nos produits sont conçus pour durer et répondre aux besoins » a-t-il déploré. Avant, selon le sexagénaire, son atelier employait plus de 100 jeunes répartis en équipes spécialisées en fabrication de grillages, construction de puits, forage et soudure. Cependant, en l’absence de commandes et face à la concurrence des matériels importés, son effectif a chuté à environ 10 ouvriers.

Confection de charrue, l’une des spécialités de l’atelier Niyya

Pour faire face à cette situation, Mounkaila Oumarou appelle l’Etat à soutenir davantage les forgerons en leur offrant des marchés et des contrats pour équiper les agriculteurs nigériens avec du matériel fabriqué sur place. « Ce soutien permettrait non seulement de valoriser le savoir-faire local, mais aussi de garantir aux agriculteurs un accès à des équipements adaptés aux réalités du terrain », a-t-il assuré. De plus, avec l’accompagnement de l’Etat et de ses partenaires, Mounkaila dit pouvoir faire beaucoup plus. « On peut former, créer des emplois et contribuer à l’économie nationale », a-t-il dit, tout en plaidant, également, pour des formations techniques adaptées.

Au-delà du manque de commandes, un autre défi pèse lourdement sur les épaules du forgeron, la transmission du savoir. Loin de susciter l’engouement, le métier semble aujourd’hui boudé par la jeunesse. Un désintéressement qui le préoccupe beaucoup. « Si les jeunes ne s’y intéressent plus, qui prendra la relève ? », s’interroge-t-il avec gravité.  « Je suis fatigué maintenant. Je ne peux plus travailler comme avant, les jeunes ne veulent plus apprendre, ils veulent des gains rapides. Alors que ce métier demande du temps, de la rigueur, de la passion », se plaint Mounkaila Oumarou. Avant de se dire inquiet pour l’avenir de ce savoir-faire ancestral, car « c’est tout un pan du patrimoine artisanal local qui risque de disparaître, la transmission devient une urgence autant qu’un devoir ».

Le parcours de Mounkaila Oumarou est illustratif de la situation des artisans nigériens qui, malgré les difficultés, continuent de faire vivre des métiers essentiels au développement du pays. Son engagement et son expertise sont des atouts précieux pour le développement de cette activité. Son souhait ? Que la jeunesse nigérienne prenne la relève et que l’État reconnaisse enfin la valeur stratégique de ce métier souvent négligé.

Rencontré à l’entreprise Niyya où il travaille depuis 2007, Hama Mounkaila est un forgeron passionné qui a fait le choix audacieux de quitter l’école pour se consacrer pleinement à ce métier. « J’aime ce travail, je n’ai jamais envisagé autre chose », confie-t-il avec fierté. Grâce à son engagement et à sa persévérance, il a pu construire une vie stable : il s’est marié et parvient à subvenir aux besoins de sa famille grâce à ce travail.

Hama parle de son employeur ( Mounkaila Oumarou) avec respect et reconnaissance. « Depuis que je suis ici, j’ai beaucoup appris. Mon patron m’a formé, il m’a donné une chance. C’est quelqu’un de juste, de patient, qui n’hésite pas à nous montrer comment faire mieux. Il veut qu’on réussisse et qu’un jour, nous aussi, qu’on puisse voler de nos propres ailes », témoigne-t-il. Tout comme son employeur, Hama aussi  s’inquiète de voir la jeune génération tourner le dos à ces métiers. « Les jeunes d’aujourd’hui ne sont pas patients. Beaucoup viennent ici, attirés par l’argent ou les belles choses, mais dès qu’ils voient que le travail demande des efforts, ils abandonnent », regrette-t-il. Malgré tout, a-t-il poursuivi, leur employeur, à savoir Mounkaila Oumarou, continue de leur parler, de les conseiller, leur expliquant que c’est avec l’amour du métier et la passion qu’on finit par réussir. « Ce métier ne paye certes pas tous les jours, mais il finit toujours par payer. Et surtout, il vous donne un savoir-faire et une expertise que personne ne peut vous enlever », a conclu Hama.

Aminatou Seydou Harouna (ONEP), Envoyée spéciale

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