En français facile, voici pourquoi la Cour suprême, le Conseil constitutionnel et tous les démocrates doivent rejeter l’arrêté du ministre de la Communication. Depuis 1695, l’édit est passé de mode.
Ah, la censure ! Au 17ème siècle, précisément en 1662, on est en Angleterre, contexte historique : le terme “édit” (une censure préventive par ordonnances royales ou décrets gouvernementaux) visait à contrôler, par anticipation et à réglementer, la publication d’écrits pouvant déranger l’ordre établi, politique ou religieux. Ça s’appelle le “Licensing Act” qui a vécu jusqu’en 1695.
À cette époque, et particulièrement durant les périodes de troubles, le pouvoir royal et le parlement ont promulgué des édits pour restreindre la liberté de la presse et empêcher la diffusion d’idées jugées subversives, séditieuses ou hérétiques, en soumettant les publications à une autorisation préalable, par l’octroi d’une autorisation de publier quelque écrit. Autorisation ? Licence donc.
Ah, le joli mot que les autorités sénégalaises n’utilisent plus, contrairement aux débuts de ce projet de prise de contrôle des médias du pays à travers une “censure préalable” à toute publication, cet arrêté du ministre de la Communication n’est rien de moins. Ici, non pas “avant impression et diffusion”, mais avant même la naissance du support – et s’il avait eu le mauvais goût de naître avant l’avènement du pouvoir Diomaye Sonko, après examen de sa génétique éditoriale, étouffer l’enfant, si elle n’avait pas la bonne génétique.
Le Licensing Act était donc un système de censure où des autorités se chargeaient d’examiner et d’approuver (ou de refuser) la publication de textes de toute nature, destinés à la diffusion auprès du public. Et de punir les auteurs, imprimeurs et distributeurs de publications non autorisées. Ça ressemble étrangement à ce qui se passe chez nous, avec cet arrêté du ministère de la Communication, quatre siècles après – mais en pire, nous l’avons vu, qui s’attaque au fœtus du média à naître -, sous le régime de Pastef, parti considéré comme avant-gardiste par ses aficionados de tous âges.
Des exemples notables d’édits incluent les édits royaux sous les Stuarts ou les ordonnances du parlement durant la période du Commonwealth. Ces mesures ont eu un impact profond sur le développement de la pensée politique et religieuse en Angleterre, suscitant des débats passionnés sur la liberté d’expression, comme en témoignent les écrits de John Milton, avec son célèbre pamphlet Areopagitica (1644) qui s’opposa à la “censure préalable”. Un texte fondateur qui, jusqu’à la fin du 17ème siècle, inspira les combats qui menèrent à l’abandon du Licensing Act.
Quel intellectuel chez nous pour tenter de faire pièce – comme Milton – à cette initiative du régime en place au Sénégal, issu d’élections démocratiques pourtant, il faut le rappeler ? Je vois notablement Ibou Fall, Henriette Niang Kandé, et quelques autres parmi les journalistes pris à la gorge – et le remarquable soutien du Parti de l’Indépendance et du Travail (PIT), dont il faut saluer la constante vigilance dans la préservation des acquis démocratiques, particulièrement en matière de libertés publiques !
Sinon, des pans entiers de la société civile et quelques individualités de la gauche historique regardent le régime SonkoDiomaye dérouler un projet qui, assurément, rétrograde notre pays de quatre siècles en matière de liberté d’expression. Ce gouvernement, pour le coup, dans cette affaire, confirmant ses velléités autoritaristes, fait fi des formes, en tenant même l’institution législative, son Assemblée, pourtant dévouée, en dehors d’une affaire de cette importance : instaurer la “censure préalable” au pays de Diouf, l’homme qui, à son accession au pouvoir avait proclamé : “jakk jaa ngook ! Kumu neex nodd.”
Un cri du cœur, un appel à l’ouverture démocratique qui avait été entendu, pour avoir été suivi d’un pluralisme partisan salutaire, mais aussi par une explosion et une diversité médiatique ayant abondamment nourri la maturation politique du Sénégal, pour en faire “la vitrine de la démocratie en Afrique” aux yeux du monde entier. Cette image de pays de Cocagne des libertés politiques, notamment d’expression, on en est bien loin aujourd’hui, hélas, pour des raisons dont certaines ont surgi bien avant le Pastef ; mais ce parti a le bon goût de rajouter une couche à la gangrène qui frappe le paysage médiatique du pays de Abdourahmane Cissé, Mame Less Dia, Moussa Paye, Babacar Touré, Sidy Lamine Niasse, Mame Less Camara.
L’évocation de ces noms de journalistes défunts qui, avec d’autres, dont l’ajout des noms allongerait inconvenablement la liste, m’amène à rappeler aux journalistes professionnels qui tiennent le destin de la presse entre leurs mains, de nos jours – ces patrons de presse qui veulent tout négocier avec les pouvoirs -, que les acquis sur lesquels ils ont prospéré ont été arrachés par la lutte aux pouvoirs auxquels leurs devanciers ont été confrontés. Rien n’a jamais été donné aux animateurs des médias, depuis Senghor, suite à des négociations. Tout a été acquis par la lutte ouverte, avec son coût à assumer, ou le gain progressif de terrains d’élargissement de la liberté de presse, sous l’arbitrage d’une population conquise, grâce, en l’occurrence, à la qualité du travail des journalistes – la meilleure arme de lutte, de mon point de vue pour la presse !
Les figures emblématiques que je viens de citer avaient fait face, avec l’appui constant de l’intelligentsia sénégalaise et de formations politiques progressistes, à divers défis que notre consœur de Sud Quotidien, Henriette Kandé a convoqués avec son brio habituel dans un grand texte (Sud Quotidien, 29/4).
Le Licensing Act de 1662 était une loi temporaire périodiquement renouvelée par le parlement jusqu’en 1695, 33 ans après son instauration et bien des dégâts. – Par exemple, nous apprend Jacques Attali, « en 1605, un certain Lewis Pickering est condamné pour diffamation de l’Archevêque de Cantorbéry, ‘’parce que ses accusations représentaient une menace pour l’ordre public, même si elles comportaient une part de vérité, car, dit le jugement, on ne doit pas critiquer une personne publique’’. Ce jugement, dit de libellis Famosis, fixera la jurisprudence pour un siècle.» (HISTOIRE DES MÉDIAS : des signaux de fumée aux réseaux sociaux et après de Jacques Attali (page 79). Je ne dirai pas qu’on en est là, aujourd’hui, chez nous, mais au vu certaine déclaration, on flirt avec l’abîme …
Lorsque qu’advint pour la énième fois le moment de son renouvellement, en 1695, près d’un siècle après donc, le parlement anglais refusa de voter à nouveau l’Act.
Puisque nous ne pouvons pas espérer être libérés de cet étau de la “censure préalable” qui frappe les médias sénégalais par notre Assemblée, “chambre d’applaudisseurs”, il ne reste plus que les forces vives de la Nation pour prendre en charge cette affaire- la presse en tête, bien évidemment, parce que personne ne fera son bonheur à sa place.
On espère bien que les journalistes et les démocrates de ce pays qui se respectent, n’attendront pas un siècle, voire les 5O ans que Pastef prévoit de rester au pouvoir, pour se sortir de ce piège.
Il est important de noter que la liberté de la presse n’a pas émergé du jour au lendemain en 1695. Des luttes et des débats ont continué à en jalonner le chemin. Cependant, la non-reconduction du Licensing Act a symbolisé « un tournant majeur en supprimant le principal instrument légal de contrôle préalable de l’information ». Car si, ailleurs en Europe, à la même période, régnait plus généralement, notamment en France, un type de censure classique s’appuyant parfois sur la connivence entre les gazetiers et la royauté, l’Angleterre n’était pas l’unique pays où se pratiquait cette censure préventive brutale, inspirée par la “Mise à l’index”, apanage de l’Eglise catholique. Celle-ci, quand elle frappait un auteur, signait sa disparition de l’espace public.
Bien de grands esprits de l’époque ont fini ivrognes dans les tavernes, s’ils n’avaient pas été assassinés de la main d’un fanatique encouragé par le bannissement du « fautif » par l’autorité religieuse vénérée …
L’instrument de notre ministre de la Communication, lui, qu’il tient pour le compte de ses chefs politiques, ne se couvre même pas du manteau de la légalité ou de manœuvres souterraines, c’est le poids de la main de fer autoritaire qui s’abat sur la presse. En certains de ses aspects, il se rapproche plus de la “Mise à l’index” religieuse que du Licensing Act. C’est le cas par exemple, avec notre consœur Aïssatou Diop Fall, journaliste sortie du Cesti, et qui a fait ses premières armes dans l’un des plus grands et plus anciens groupes de presse du pays – on peut lui reprocher ce qu’on veut, ça personne ne peut le lui enlever. Elle est mise à l’index, bannie de la presse, bien évidemment pour ses prises de position éditoriales jugées politiques.
Elle en a le droit, mais laissons ça, et admettons que c’est parce que son entreprise ne satisferait pas aux critères fixés par le censeur – même si, entendons-nous bien, toute entreprise a le devoir, l’obligation, de payer ses impôts, entre autres obligations légales. Cependant, on se trouverait dans la situation absurde voulant qu’un journaliste soit interdit d’exercer son métier, parce qu’il ne serait pas un bon entrepreneur, un employeur modèle.
Une première mondiale, assurément !
Face à une démarche pareille, il n’y a qu’une alternative pour la presse : résister ou périr !
Pape Samba Kane Journaliste
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