
A six mois de la présidentielle en Côte d’Ivoire, les principaux opposants sont exclus de la course, dont Tidjane Thiam, chef du principal parti d’opposition. Que vont-ils faire maintenant? Des troubles sont-ils à craindre dans le pays francophone le plus riche d’Afrique subsaharienne?
L’enjeu est important pour cet État de 30 millions d’habitants encore meurtri par les violences post-électorales de 2010-2011 qui avaient fait quelque 3.000 morts. La Côte d’Ivoire est devenue au fil des années un pôle de stabilité, ses deux voisins du nord, le Burkina Faso et le Mali, étant en proie aux violences jihadistes et dirigés par des juntes.
– L’exclusion de Tidjane Thiam est-elle une surprise et que peut-il faire? –
Depuis plusieurs mois, la lancinante question de la nationalité de ce banquier international de 62 ans, ayant passé plus de 20 ans hors du pays, fragilisait sa candidature.
Puis tout s’est accéléré mardi avec une décision de justice, sans recours possible, estimant qu’il avait « perdu la nationalité ivoirienne quand il a acquis la nationalité française » en 1987. Il avait pourtant renoncé à cette dernière en mars pour pouvoir se présenter, un binational ne pouvant être candidat.
Pour le politologue et essayiste Geoffroy Kouao, « au regard de l’article 48 du code de la nationalité, il était difficile d’envisager une autre issue ».
Présidentielle ivoirienne: appel à manifester jeudi contre l’éviction de l’opposant Thiam
Le parti de M. Thiam « peut toujours demander une nouvelle révision de la liste électorale. Ce qui n’est pas évident. Je pense que le parti doit songer à un plan B le plus rapidement possible », assure-t-il.
Mais M. Thiam reste « gonflé à bloc »: « c’est moi ou personne, nous ne présenterons pas d’autre candidat », a-t-il martelé dans un entretien téléphonique à l’AFP.
L’opposant, actuellement en France, peut-il mobiliser la rue? « Durant les 20 dernières années, on n’a pas pu mesurer sa force, sa résistance et résilience politique », relève Ousmane Zina, professeur de Sciences politiques à l’Université de Bouaké (Côte d’Ivoire). « Il était hors du pays. Il n’a pas encore acquis cette stature de crocodile du marigot politique ivoirien. Cette épreuve va soit le faire reculer, soit lui durcir la carapace politique ».
Le parti de M. Thiam vient d’appeler à des « marches » jeudi devant les tribunaux du pays. Cela constituera un important test sur sa capacité à mobiliser.
– Et les autres poids lourds de l’opposition? –
L’ex-président (2000-2011) Laurent Gbagbo, 79 ans, figure incontournable de la politique ivoirienne depuis plus de trois décennies, reste déterminé à concourir mais est radié de la liste électorale en raison d’une condamnation à 20 ans de prison pour des faits liés à la crise de 2010-2011.
Son ancien bras droit Charles Blé Goudé et l’ancien Premier ministre et ex-chef rebelle Guillaume Soro, en exil, sont également exclus pour des condamnations judiciaires.
Côte d’Ivoire: l’opposant Tidjane Thiam écarté de la course à la présidentielle
Ces opposants peuvent-ils unir leur force avec Tidjane Thiam? « Peut-être, mais ce n’est pas évident. Dans tous les cas de figure, la demande de radiation de Tidjane Thiam compromet la légitimité et la crédibilité du scrutin présidentiel de 2025 », souligne M. Kouao.
Selon M. Zina, « l’opposition dénoncera le manque d’inclusion, par contre le RHDP (parti au pouvoir) saluera le retour de la justice dans la reconstruction de l’État de droit en Côte d’Ivoire. Nous sommes à six mois du scrutin, les lignes peuvent toujours bouger en politique ».
– Et la fausse inconnue Ouattara? –
Au pouvoir depuis 2011, le président Alassane Ouattara s’est dit « désireux de continuer à servir son pays ». « Selon toute vraisemblance, le président Ouattara sera le candidat du parti au pouvoir », selon le politologue Kouao. Cependant, l’absence de grandes figures de l’opposition « pourrait l’amener à passer la main à une nouvelle génération ».
Il cite notamment Jean-Claude Brou, gouverneur de la BCEAO (Banque centrale des États d’Afrique de l’Ouest), le vice-président Tiémoko Meyliet Koné, l’ancien Premier ministre Patrick Achi ou encore Téné Birahima Ouattara, ministre de la Défense et frère du chef de l’État.
Quoi qu’il en soit, pour M. Zina, le président Ouattara reste « le maître de l’horloge politique dans un tel contexte. Si la situation ne change pas, le RHDP avancera en roue libre pour octobre 2025« .
– Des troubles sont-ils à craindre? –
« Possible. Mais je pense que le régime ne laissera pas faire » car les 3.000 morts de la crise de 2010-2011 sont « encore dans les mémoires collectives », avance M. Zina.
Pour le politologue Kouao, « le contexte a changé, les mentalités aussi. Il serait politiquement plus correct pour l’opposition de présenter d’autres personnalités que d’appeler à un boycott de la présidentielle ».
Source : Agence France-Presse

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