La mise à l’écart au Nigeria d’une sénatrice, Natasha Akpoti-Uduaghan, qui avait accusé le président du Sénat de harcèlement sexuel, soulève des critiques dans le pays sur le sexisme très ancré en politique mais fait aussi débat parmi les femmes.
Début mars, Natasha Akpoti-Uduaghan, 45 ans, sénatrice de l’Etat de Kogi (centre) depuis 2023, a été suspendue pour six mois juste après avoir accusé Godswill Akpabio, 62 ans, président de la haute chambre du Parlement, de harcèlement sexuel.
Avec seulement 4 sénatrices sur 109 et 17 députées sur 360, les voix féminines sont marginales au sein du Parlement du pays le plus peuplé d’Afrique.
Selon la sénatrice, membre du principal parti d’opposition People’s Democratic Party (PDP), Godswill Akpabio, poids lourd du parti au pouvoir All Progressive Congress (APC), lui aurait proposé de soutenir ses motions si elle prenait « soin de lui », a-t-elle dit lors d’une interview sur la chaîne Arise TV.
La sénatrice a dénoncé la sanction à son encontre la semaine dernière lors d’une réunion de l’Union interparlementaire des Nations unies à New York.
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Le Sénat a défendu sa décision dans une lettre, invoquant une suspension « pour faute grave et indiscipline, et non à la suite des allégations pour harcèlement sexuel », ce que les soutiens de Mme Akpoti-Uduaghan réfutent.
Selon plusieurs organisations de défense des droits des femmes, cette suspension renforce l’impunité des agresseurs et les discriminations à l’encontre des femmes dans un milieu politique dominé par les hommes.
« On tente de minimiser la voix de la victime présumée », estime Eniola Edun-Ogunlana, fondatrice d’Eme foundation, une ONG dédiée à la promotion des droits des femmes.
– Divisions –
En 2020, M. Akpabio, alors ministre des Affaires de l’Etat du Delta, avait déjà été accusé de harcèlement sexuel par Joy Nunieh, ancienne directrice par intérim de la Commission de Développement du Delta (NDDC).
Il avait rejeté ces accusations, tout comme celles portées par Mme Akpoti-Uduaghan.
La cause de la sénatrice suspendue ne fait cependant pas l’unanimité parmi ses pairs et les groupements de femmes de la société civile.
La semaine dernière, lors d’un point de presse à Abuja, la Croisade des femmes nigérianes pour la bonne gouvernance (NWCGG), représentant une centaine de groupes de femmes, s’est excusée auprès de Godswill Akpabio pour le comportement de Mme Akpoti-Uduaghan.
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Biodun Olujimi, ex-sénatrice, a commenté l’affaire sur Arise TV début mars en déclarant que le président du Sénat « plaisante beaucoup », ce qui le rend « très vulnérable ».
« Je crois que le Sénat fait ce qui est nécessaire », a réagi dans les médias la Première dame du Nigeria et sénatrice Oluremi Tinubu, qui avait elle-même été menacée de viol en 2016 par un sénateur avec qui elle était en conflit.
De nombreuses personnalités publiques ont pris la parole pour commenter « l’affaire Natasha », certaines largement teintées de sexisme comme l’ancien ministre Adeseye Ogunleye qui a déclaré que « la beauté de Natasha est son problème ».
-Harcèlement au Parlement –
« Que tu sois députée ou sénatrice, on ne te respecte pas dans ce milieu », estime auprès de l’AFP une femme d’une trentaine d’années qui a souhaité garder l’anonymat après avoir travaillé dix ans pour l’État de Lagos et comme assistante parlementaire à l’Assemblée nationale.
Il y a quelques années, elle a quitté l’Assemblée nationale après un énième acte sexiste.
« Lors des réunions, il est difficile pour les femmes de se faire entendre. On nous confie des tâches comme gérer le traiteur ou servir le café. L’âge et le statut marital influencent aussi notre traitement, il vaut mieux avoir plus de 50 ans », affirme-t-elle.
Au Nigeria, la majorité des femmes en politique proviennent de familles aisées et sont souvent les épouses, filles ou sœurs de politiciens, alimentant les stéréotypes sur leur légitimité.
Les obstacles en politique pour les femmes demeurent considérables, malgré leur contribution essentielle au débat public, commente auprès de l’AFP Akinsola Alaba Agagu, professeur de sciences politiques à l’Université d’Ekiti, en citant des figures telles que Funmilayo Ransome-Kuti, Hajia Gambo Sawaba et Margaret Ekpo, trois femmes politiques et précurseures du militantisme féministe du XXème siècle.
Le professeur Agagu plaide pour un changement majeur, notamment par la mise en place de « quotas de genre » au Parlement.
« Il faut redonner confiance aux femmes et aux jeunes filles broyées par le système et encourager les nouvelles générations », prône Eniola Edun-Ogunlana, d’Eme Foundation.
Source: Agence France-Presse

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