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Quand les revendeurs entretiennent la spéculation à la source – Le Sahel

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A quelques jours de la fête de l’Aid El Fitr, les yeux sont rivés sur le marché de la volaille qui, à l’accoutumée, connaît à cette occasion une forte flambée des prix du fait de la demande accrue en pintades et poulets, très prisés pour la circonstance. Parmi les localités avec d’énormes potentiels avicoles figure Ballayara dont le chef-lieu de département représente une plaque tournante du commerce des produits agrosylvopastoraux et avicoles, dans la région de Tillabéri. En ce qui concerne la volaille particulièrement, elle est, certes, pour l’essentiel, issue de l’aviculture de basse-cour mais, la production dépasse largement les besoins du marché local. En effet, cette contrée est une des zones de référence d’où s’approvisionnent les revendeurs des grandes villes comme ceux de Niamey.

Ce dimanche 23 mars, c’est probablement le dernier jour du fameux marché hebdomadaire du chef-lieu de la Commune rurale de Tagazar, Ballayara, avant la fête de l’Aid El Fitr marquant la fin du jeune de mois de ramadan. Il est 7h40, les visiteurs, ensardinés a bord des véhicules de transport de tout genre, « hiace » ou « 19 places », camionnettes « 10 tonnes » ou ces voitures dites bâchées, leurs effets et animaux avec, débarquent par dizaines à l’entrée ouest de la ville, notamment à la devanture du marché de bétail. Ceux qui viennent avec du bétail déposent leurs bagages sur place, tandis que ceux qui amènent des pintades ou des poulets affluent vers l’autre côté du goudron et le centre-ville.

Des vendeurs debarquent…

Un peu plus d’une heure plus tard, la principale voie qui traverse la ville de Ballayara, ainsi que les coins et recoins du marché central, de la gare et du carrefour du marché de bétail, sont inondés de la volaille, pintades et poulets, en vrac sur des chariots, pendus à la main ou autour du cou. Parmi les principaux tenants de la vedette du jour, les paysans qui ont élevé eux-mêmes ces volailles pour venir vendre afin d’avoir de quoi agrémenter la fête. Dans la rue, on les reconnaît assez facilement. Une, deux, à cinq volailles entre les mains, fonçant vers les carrefours, ils sont les moins exigeants et cèdent à vil prix. La pintade entre 2.500FCFA et 3.500 FCFA et le poulet à 1.500FCFA voire 2.500FCFA. Puis, il y a des revendeurs qui viennent, tous azimuts, avec leurs lots, après un rallye des marchés ruraux environnants. Il y a aussi ceux qui prennent et revendent sur place. Et derrière tous ces acteurs, plane l’ombre des commerçants de volaille de Niamey. Tapis sous les arbres à l’est de la gare de la ville, ils captent tout et amassent, dans des cages, par centaines. Selon l’autorité municipale, ces revendeurs viennent souvent 48 heures avant le jour du marché. Ils sillonnent la brousse, de village en village, en passant par certains grands marchés hebdomadaires, pour s’approvisionner d’avance.

Des poulets et pintades abondants et abordables, au petit matin

Ali Kallamou, alias Ali Mai Kaza, vient de débarquer à la gare, en provenance de Bongo-béri, un village à 14 km de Ballayara, avec 27 poules et coqs et 3 pintades. Nous sommes toujours dans la matinée. Il s’assure d’abord qu’aucune volaille n’est morte au cours du voyage. Dans une ambiance bon enfant, Ali Mai Kaza confie que le business de la volaille est son affaire depuis des années et qu’il vit de cette activité.

…et prennent d’assaut le marché

« Les prix de la volaille sont présentement un peu en baisse. Il y avait une certaine rareté en début du mois de Ramadan, les gens ont préféré garder leurs marchandises pour la veille de la fête. C’était un peu plus cher. Or, maintenant que les gens veulent vendre, pour avoir de l’argent pour la fête, vous voyez comment est le marché. C’est abondant et les prix ont chuté », explique le quinquagénaire prêt à vendre ses poulets à 2.000FCFA l’unité et ses trois grandes pintades à 10.500FCFA. « Les poulets, je les ai pris à 1.250FCFA, 1.500FCFA et les pintades 2.500FCFA par tête. Pour le transport, c’est gratuit quand leur nombre n’atteint pas 100 têtes. Je n’ai payé que le prix de mon transport personnel », indique Ali Mai Kaza.

« Je viens du village de Damana. Certains poulets, je les ai élevés moi-même, d’autres je les ai achetés en venant », dixit un autre qui débarque avec une vingtaine de poulets. L’homme dans la cinquantaine également, qui répond au nom de Zakari Abdou, n’a pas non plus pris le pool du marché lorsqu’il se fixe des prix qui ne dépassent guère un maximum 2.250 FCFA l’unité. « Il y a des gens qui amènent à Niamey, j’aurai mon argent tout de suite et maintenant dès que je les croise », s’empresse de dire M. Zakari Abdou.

Karimou Soumana, un père de famille à la fleur de l’âge, rencontré de l’autre côté de la rue, en face du marché de bétail, est un revendeur qui sillonne les marchés ruraux de la zone. Assis sur le banc, sous un arbre, des dizaines de poulets et de pintades devant lui, selon ses dires, il attend encore des clients ou alors il embarquerait éventuellement pour aller écouler sa volaille à Niamey où l’attendent toujours des commerçants preneurs sûrs.

« C’est ce que je fais depuis des années, presque 20 ans. Il n’y a pas que la veille de la fête, je suis de tout temps dans cette activité. A chaque fois quand je viens ici, j’achète et reste quelques heures, s’il m’en reste encore, je pars vendre à Niamey. Lorsque je me sens épuisé, je rentre chez moi à Hamdallaye où j’ai aussi des preneurs sûrs. J’ai déjà vendu près de 40 poulets et pintades ici, le matin. J’attends quelqu’un, s’il vient, il ne va plus m’en rester que trois pintades que j’amènerai à Hamdallaye », dit, d’un air confiant le sieur Karimou.

 « Pratiquement chaque jour a ses prix. Le marché est comme tel. Les paysans qui ravitaillent le marché n’ont pas la même préoccupation par rapport à la fête que les citadins. Au village, les gens font des provisions pour des mois en vivres et autres denrées. En ville, à la veille du Ramadan , il y a trop de demande tout comme à la veille de la fête. En réalité, la forte demande vient de la ville. C’est pourquoi, tous, nous courons là-bas », explique Karimou du haut de ses 60ans. Le revendeur ajoute qu’il court, pourtant, le risque de voir périr quelques-unes de ses volailles en parcourant les 98km qui séparent Ballayara de Niamey. « Ce métier, c’est comme le jeu de hasard. C’est pourquoi, personnellement, dès que je trouve sur place des petits gains de 250FCFA ou 500FCFA sur une volaille, je cède sans hésiter », admet le sexagénaire.

Et les prix grimpèrent d’un cran, à la mi-journée

Jusqu’aux environs de 11h passées de quelques minutes, les prix sont restés stables. Mais, peu à peu, les rues se sont désemplies des fournisseurs ainsi que des revendeurs à la criée, la volaille s’est concentrée chez certains commerçants qui finissent par insuffler un revers spéculatoire au marché. L’ambiance de grand jour, avec le fort engouement autour de la volaille, qui régnait, a faibli, pas seulement sous l’effet de la canicule, même s’il faisait jusqu’à 40°c à 41°c à l’ombre, mais aussi et surtout du fait que l’affluence des fournisseurs n’est en réalité que matinale et la quasi-totalité de la volaille est désormais sous la main des acheteurs venus de Niamey, notamment sur le site dédié à ce commerce, à l’est de la gare, sous les arbres qui longent les clôtures des jardins.

Il est 13h30. Ici l’on n’a même pas envie de revendre sur place. Ceux qui viennent désormais pour leurs provisions de fête n’ont qu’à s’en mordre les doigts. Certains sont bouche bée.

Les pintades sont sitôt passées à pas moins de 4.500FCFA et les poulets à partir de 3.500FCFA. « Quand nous les transportons, il y en a qui meurent au cours du voyage. Et nous devons tirer profit sur le lot. C’est pourquoi les prix sont en hausse », explique M. Bassirou Sadou, un commerçant de volaille venu de Niamey. Alors que ses amis et collaborateurs ont pratiquement tous l’air épuisés, l’homme à la tête blanchissante reste droit débout et faufile entre les cages, probablement pour s’assurer, une dernière fois, des derniers ajustements, avec des astuces qui leur sont propres, pour un acheminement exempt d’éventuelle perte, malgré la forte température au pic du jour. « Il y a deux semaines, je suis venu prendre quelques centaines et j’ai perdu environ cinquante en cours de route », dit-il.  Cependant, il y a des jours où M. Bassirou Sadou, qui a son quartier général au marché As Salam de Niamey, achemine des tas de poulets et pintades sans aucune perte. « Nous entassons 100 par cage, dans les petites nous mettons 30 à 50 têtes. Le transport par cage, c’est de 7.500FCFA à 10.000FCFA », a-t-il fait savoir, avant de chercher un coup de main pour le chargement de ses trois grandes cages.

La volaille est souvent acheminée, amassée, sur des charrettes

Un peu plus loin, alors que la vedette du jour qu’est la volaille commençait à se faire rare dans les rues de Ballayara, une charrette arpente le goudron sous la chaleur suffocante, avec à son bord, des dizaines de pintades entassées pèle mêle. « Si ce n’est à 6.000FCFA l’unité, je ne vends pas », dit, fermement le jeune Hassane Moussa, derrière ses lunettes noires. A l’image de ses pintades, le jeune homme semble être abattu et défraîchi. Il n’a d’ailleurs pas la tête à bavarder. Mais Hassane décide de se mettre à l’ombre avec ses pintades qu’il mouille et abreuve afin de les hydrater, aussitôt installé, en attendant le transport vers Niamey.

Sur le site de vente de volaille sis à l’est de la gare de Balleyara

Après avoir soufflé, à l’abri de rayons ardents de soleil, en peu de mots, le jeune Hassane nous parle enfin de sa journée. « J’étais ici depuis hier. Très tôt, juste après la prière de Fajr, j’ai commencé mon rallye. J’ai fait trois villages pour avoir tout ce que vous voyez là. L’avantage de payer directement auprès des paysans est que c’est beaucoup moins cher. Mais, le chemin est long, c’est dur. Je dois rallier Niamey maintenant », murmure Hassane qui exerce l’activité de commercialisation des pintades depuis juste 2ans. « Il y a du gain, malgré tout. C’est une bonne affaire », a-t-il laissé entendre.

L’élevage de basse-cour, une manne pour les paysans

La quasi-totalité de ce qui est sur le marché de volaille de la commune du Tagazar n’est que du poulet et de la pintade locale, provenant des ménages exclusivement. Cet élevage traditionnel laisse en liberté la volaille en divagation permanente du matin au soir à la recherche de nourriture (reste de cuisine, insectes, grains de céréales, etc). D’autant que les poussins sont très accessibles même quand il fallait en payer, l’activité est en effet plus facile à pratiquer, notamment dans les villages. Ce qui est monnaie courante, mais surtout une source de revenus opportune, au besoin. Et contrairement à la volaille conditionnée ou dite de chair, produite généralement en masse par des fermes ou importée, la volaille locale est réputée pour son goût appétissant.

Nombreux sont, dans cette euphorie de grand jour de marché de veille de fête de Ramadan, les jeunes qui prennent d’assaut les rues et les grandes artères de la ville, leurs volailles en mains, afin d’avoir les moyens de se payer des habits de fête ou encore subvenir à d’autres besoins.

« Je suis venu vendre ma poule. Je voudrais payer des documents d’école coranique », affirme un adolescent de 15ans, du nom de Abdourahamane Moussa, rencontré aux encablures de la gare. L’adolescent dit qu’il a quitté les bancs de l’école mais se consacre pleinement à l’école coranique. « Je fais l’élevage de quelques volailles souvent, pour vendre à des moments opportuns et payer ce dont j’ai besoin », a-t-il expliqué.

« C’est mon grand-père qui m’a donné des poussins, il y a trois à quatre mois. Je les ai gardés et nourris jusqu’aujourd’hui. C’est très facile à élever, ils ont grandi dans la cour de la maison. Je veux les vendre maintenant pour avoir des habits neufs pour la fête », confie un jeune collégien du nom de Moussa Saley, croisé vers le marché de bétail. Avec ses trois poulets entre les mains, en compagnie de son cousin, Moussa entend bien empocher un minimum de 6.300FCFA. « Ce n’est peut-être pas suffisant pour avoir tout, chemise-pantalon et chaussures mais, même si je trouve un beau jeans, ça va », affirme sereinement l’adolescent.

Une taxe municipale de 25FCFA par volaille, pour mieux suivre la filière

Selon M. Nouhou Bonkano, agent de recouvrement de la Commune Rurale de Tagazar, si ce n’est qu’à partir de l’arrivée de l’actuel Administrateur Délégué, aucune autorité n’a songé à structurer la commercialisation de la volaille au niveau de la ville de Ballayara. « Malgré l’immense potentiel, c’était vraiment dans tous les sens. Aujourd’hui, la commune a dédié deux espaces pour l’activité, principalement à l’est de la gare, puis en face du marché de bétail. Cela nous permet aujourd’hui de bien suivre ce marché, ainsi que ses acteurs », fait remarquer l’agent municipal.

Un chargement à destination de Niamey

M. Nouhou Bonkano souligne que, désormais, pour permettre d’avoir des statistiques sur le marché local de la volaille, la Commune Rurale de Tagazar vient d’instituer une taxe de 25FCFA sur chaque pintade ou poulet vendu. « Nous avons commencé ce dimanche. Nous avons des agents déployés avec des cahiers de reçu de taxe d’une valeur de 50.000FCFA. C’est une initiative qui nous permettra aussi de donner de l’emploi à des jeunes de la commune, puisque ce sont eux qui seront mobilisés pour la sensibilisation des acteurs ainsi que le recouvrement des taxes, comme ce que nous faisons au niveau du marché de bétail. Nous avons au total 6 grands marchés hebdomadaires très animés, dans la commune », précise M. Nouhou Bonkano.

La tâche sera difficile, évidemment, reconnaît l’agent de la mairie qui ajoute que les fournisseurs du marché ne sont autres que les paysans, qui amènent leurs volailles, de partout. Mais, à tout point de vue, certains acteurs, tels que les revendeurs locaux et ceux venant d’ailleurs sont eux saisissables, puisqu’ils sont sur des sites dédiés au commerce.  « Il y a des fermes avicoles, plus de trois, dans la commune. Mais, nous considérons qu’elles n’ont pas encore commencé, parce qu’elles ne sont pas enregistrées au niveau de la commune. En tout cas, l’essentiel de la volaille de Tagazar aujourd’hui, c’est celle qui vient directement des ménages, des paysans. C’est celle de l’aviculture traditionnelle », assure l’agent de la mairie.

Ismaël Chékaré (ONEP), Envoyé spécial

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