
En frappant des bombardiers dimanche au cœur de la Russie avec de simples drones, l’Ukraine a réalisé un coup d’éclat qui porte un coup sévère à Moscou et pourrait bien redéfinir la façon de conduire les opérations militaires, estiment des spécialistes.
Quel impact sur l’aviation russe ?
Kiev revendique la destruction de 41 appareils, essentiellement des bombardiers stratégiques à long rayon d’action Tu-95 et Tu-22, des avions de l’ère soviétique utilisés pour tirer des missiles de croisière lancés contre l’Ukraine.
La perte potentielle d’un tiers de la flotte russe, avancée par Kiev, est « un coup sérieux pour les capacités offensives russes, et ce n’est pas la fin de ce type de campagne » de bombardements, estime Yohann Michel, de l’Institut d’études de stratégie et de défense de l’université Lyon-3.
Selon lui, « l’impact principal pourrait se manifester dans plusieurs semaines par une diminution du nombre de sorties du reste de la flotte ».
« Il faudra beaucoup de temps à la Russie pour compenser ces pertes » d’avions également capables de tirer des missiles à tête nucléaire, estime Maxime Starchak, spécialiste de la politique nucléaire russe.
La Russie peut-elle protéger ses bases?
Les drones explosifs, lancés depuis des camions à proximité immédiate de bases situées pour certaines à plus de 4.000 kilomètres de l’Ukraine, ont frappé des avions parqués à ciel ouvert sans protection apparente.
Si ces appareils avaient été abrités dans des hangars, les dégâts auraient été bien moindres.
Pour Maxime Starchak, « la protection des aérodromes militaires ne répond pas aux exigences de sécurité: il est possible de s’approcher discrètement d’un aérodrome et de mener une attaque rapide, ne laissant ni le temps ni les moyens de se défendre ».
Avec des services de sécurité russes qui n’ont pas empêché le raid, et des défenses aériennes incapables de l’endiguer, l’opération « montre que la Russie ne se pense pas vraiment en guerre et que, dans une certaine mesure, sa profondeur stratégique joue contre elle », juge sur X l’expert indépendant français Stéphane Audrand.
« D’habitude l’immensité du territoire russe est un avantage, vous pouvez planquer vos bombardiers à des milliers de kilomètres là où ils seraient à l’abri », abonde Johann Michel. Or le raid effectué par les Ukrainiens « veut dire que vous devez surveiller des milliers de kilomètres carrés et c’est simplement impossible », tout comme surveiller les millions de camions qui roulent en Russie, selon lui.
Et même si la Russie déploie à grand frais des dispositifs de brouillage, des défenses sol-air et anti-drones sur ses bases aériennes, rien ne dit qu’une telle opération ne peut être reproduite.
« La gamme de cibles potentielles est illimitée: raffineries, usines, bases militaires, aéroports, silos de missiles balistiques, etc », estime Michael Shurkin, expert associé au Rusi britannique.
Quel est le message envoyé?
Après la destruction du croiseur russe Moskva ou encore l’assassinat de généraux russes, l’opération démontre « combien la Russie est vulnérable aux attaques non conventionnelles ukrainiennes », assure John Herbst, ancien ambassadeur américain à Kiev.
Cela constitue un « contre-argument fort à la petite musique selon laquelle la guerre évolue inévitablement en faveur de Moscou », écrit-il pour le centre de réflexion Atlantic Council.
L’Ukraine doit s’attendre à des frappes de représailles d’un Vladimir Poutine soucieux de laver l’affront, prédit sur son blog Timothy Ash, éminent expert spécialiste de la Russie.
Mais l’opération représente à ses yeux « une immense victoire en termes de relations publiques, qui contribuera grandement à renforcer le soutien tant sur le plan national qu’international », alors que l’aide militaire reste cruciale pour Kiev.
Une nouvelle façon de faire la guerre?
Les détails sur le mode opératoire restent limités. Le président Volodymyr Zelensky a affirmé qu’il y avait un pilote pour chacun des 117 drones de type FPV (First person view) employés.
Pour Michael Shurkin, « l’Ukraine vient de faire quelque chose qui devrait terrifier les armées du monde entier »: frapper à faible coût en profondeur « en utilisant des moyens contre lesquels peu, voire aucune armée, n’est préparée à agir ».
« Ca va donner des idées à plein de gens », pointe de son côté un industriel français de l’armement sous couvert d’anonymat, pour qui ces « outils nouveaux obligent à repenser complètement les systèmes de défense, la manière dont on les produit, la doctrine (…). Cela ouvre des champs qu’on n’avait même pas imaginés ».
Pour une opération si sophistiquée, il n’est pas interdit de penser que les Ukrainiens aient prévu tous les cas de figure et entraîné des algorithmes d’intelligence artificielle pour la reconnaissance d’avions ou le guidage en cas de brouillage des drones, estime-t-il.
Source : Agence France-Presse

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