Dans un entretien exclusif accordé à L’Observateur, Ngouda Fall Kane, ancien président de la Cellule nationale de traitement des informations financières (Centif), revient sur les tensions et les pressions politiques qu’il a subies durant son mandat. Il révèle les tentatives d’ingérence, les blocages institutionnels et les obstacles rencontrés dans l’exercice de ses fonctions, mais affirme n’avoir « jamais cédé ».
Tensions avec le président Wade et son entourage
L’ex-Inspecteur général d’État (Ige) évoque une période particulièrement tendue sous la présidence de Me Abdoulaye Wade. Il se souvient d’avoir mené des enquêtes sur des membres de l’entourage présidentiel, ce qui lui a valu de sérieuses frictions avec le chef de l’État.
« J’avais mené des enquêtes sur son entourage. Et ça, je ne l’ai jamais oublié », confie-t-il. À tel point qu’il a fallu l’intervention de Madické Niang, ancien ministre de la Justice, pour apaiser les tensions. Kane raconte également avoir été confronté à une tentative de modification de la loi de 2004, visant à entraver les travaux de la Centif, en particulier le transfert automatique des dossiers au juge d’instruction.
« Ils voulaient bloquer les dossiers de la Centif en demandant au procureur de les retenir. Mais la loi l’obligeait à les transmettre directement au juge », explique l’interlocuteur du journal.
Alerté de cette tentative lors d’un Conseil des ministres à Saint-Louis, Kane sort du silence. Devant les médias présents, il dénonce publiquement ce projet de réforme :
« J’ai dit que c’était un recul pour le Sénégal. »
L’actuel président de l’ONG Alliance contre le crime organisé active prend ensuite l’initiative d’alerter les institutions internationales – Banque mondiale, FMI, partenaires bilatéraux – sur la situation. La pression monte, jusqu’à ce qu’il soit convoqué par la commission des lois de l’Assemblée nationale :
«Je leur ai dit : si vous touchez à la loi, je démissionne et je convoque la presse pour expliquer pourquoi. Finalement, c’est Doudou Wade qui a désamorcé la crise. C’était juste avant le 23 juin. Et pour le Sénégal, en matière de conformité, c’était très grave.»
Pressions politiques et refus de céder
L’ancien président de la Centif affirme également avoir reçu des injonctions directes, notamment à propos de comptes bancaires gelés dans le cadre d’enquêtes.
«Un jour, Bécaye Diop, alors ministre de l’Intérieur, m’a appelé : “Le Président vous demande de lever le blocage d’un compte.” Je lui ai répondu : “Ce n’est pas moi. Qu’il s’adresse à la justice.”»
Des pressions régulières, souvent émanant de personnalités politiques de haut niveau, selon lui. Mais malgré cela, Kane assure n’avoir jamais étouffé le moindre dossier.
« J’ai transmis tous les dossiers. Cela m’a valu des insultes, mais je n’ai jamais plié. Avant de partir, j’avais remis plus de 80, voire une centaine de dossiers à la justice, concernant des ministres et même des autorités étrangères. »
La Centif, un pilier de la sécurité nationale
Ngouda Fall Kane conclut en rappelant le rôle stratégique de la Centif dans la préservation de l’État de droit et la sécurité économique du pays.
« La Centif est une composante essentielle de la sécurité de l’État. Les dossiers doivent être pertinents, solides, et traités avec rigueur. On ne peut pas faire de compromis sur ce terrain. »
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