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Dossier Mbanie : préparons nous à affronter la seconde (…) – Gabonews

Dossier Mbanie : préparons nous à affronter la seconde phase juridique

1er juin 2025

Le différend frontalier qui oppose le Gabon à la République de Guinée Équatoriale a revêtu une allure essentiellement juridique depuis que ce pays frère en a tourné la page diplomatique pour déclencher unilatéralement la saisine de la Cour internationale de Justice (CIJ). Depuis environ quatre ans, nous sommes alors plongés dans une bataille juridique qui vient de connaître la fin de sa première phase avec l’arrêt rendu le 19 mai 2025 par cette haute juridiction des nations unies.

Cet arrêt, qui met un terme à la phase contentieuse stricto sensu du conflit, marque également l’ouverture de la seconde phase de celui-ci, notamment la phase de l’exécution de l’arrêt rendu. La partie guinéenne, ayant fait preuve de mauvaise foi dans ce dossier, a naturellement aiguisé la méfiance de la partie gabonaise. Pour éviter toute autre surprise désagréable dans ce dossier, le Gabon gagnerait à aller d’abord au terme du processus juridique tel que déclenché par la partie guinéenne. Il s’agit de boucler la phase exécutoire de l’arrêt rendu par la Cour internationale, en réalisant une bonne interprétation de son dispositif (I) et en mettant en œuvre des mécanismes conjoints de son exécution (II)

I- Interprétation du dispositif de l’arrêt

Sur l’examen des titres juridiques applicables à la délimitation des frontières terrestres de nos deux Etats, la Cour a estimé que la convention de Bata du 12 septembre 1974 ne constitue pas un titre juridique au sens du compromis signé par les deux parties.

Pour la CIJ, la convention de Bata est réputée n’avoir jamais existé. Le seul titre juridique fixant les frontières terrestres entre le Gabon et la Guinée Équatoriale est la convention sur la délimitation des possessions françaises et espagnoles en Afrique occidentale, sur la côte du Sahara et sur la côte du Golfe de Guinée, signée à Paris le 27 juin 1900. Autrement dit, le Gabon et la Guinée Équatoriale sont réputés n’avoir jamais conclu une autre convention modifiant leurs frontières terrestres héritées de leurs métropoles aux dates respectives de leurs indépendances.

Le débat sur des territoires guinéens à restituer au Gabon, ou gabonais à rétrocéder à la Guinée Équatoriale, est non seulement étranger à l’esprit de cet arrêt, mais aussi et surtout juridiquement inopérant dans le cadre de son exécution. La mission d’exécution de cette partie de l’arrêt devrait se limiter à l’identification sur le terrain, des coordonnées géographiques telles fixées par la convention de 1900, peu importe que celles-ci soient sur la frontière réelle ou à l’intérieur des territoires actuels de la Guinée ou du Gabon.

A la suite de cette opération conjointe d’identification des coordonnées géographiques, les parties devront ensemble élaborer des documents techniques (cartes) liés à cette délimitation des frontières terrestres, conformément à la convention de Paris susvisée. Ces documents techniques conjointement élaborés, et donc non contestables par les parties, permettront à chacune d’assurer, tout sachant, la pleine souveraineté sur son territoire terrestre. Ce qui signifie qu’à partir de cet instant, la partie surprise d’une occupe illégale d’une portion du territoire de l’autre, sera priée de la libérer sans conditions car, il ne s’agira, ni d’une cession des territoires (transfert de souveraineté), ni d’une rétrocession des territoires (retour de souveraineté) comme semble le laisser penser certains discours, mais d’une affirmation de souveraineté sur des territoires illégalement occupés.

Les citoyens des deux pays, établis hors des limites territoriales de leur pays, seront également priés de regagner leur territoire national en emportant leurs investissements, en les abandonnant ou en les détruisant selon leur convenance, sauf pour eux de manifester la volonté de rester sur place, en optant pour la nationalité du pays qui exercera désormais légitimement la souveraineté sur ces territoires à libérer.

Sur la souveraineté des îles Mbanie, Cocotier et Conga, la Cour internationale de Justice a affirmé la souveraineté de la Guinée Équatoriale sur ces territoires émergés. La partie gabonaise devrait alors en tirer les conséquences de Droit. Il s’agit ici, non plus d’une libération sans condition des territoires illégalement occupés, mais d’une cession des territoires à la suite d’une possession légitime.

En effet, parce que ces îles étaient situées sur son territoire, le Gabon pensait de bonne foi qu’elles faisaient partie intégrante de ce territoire. Malheureusement, en Droit international, la possession, même prolongée d’un territoire, ne vaut pas systématiquement titre de souveraineté. La CIJ a reconnu la souveraineté de la Guinée Équatoriale sur ces îles, le Gabon devrait en tirer toutes les conséquences Droit.

Sur les frontières maritimes entre nos deux États, la Cour internationale de Justice a tout d’abord noté l’absence d’un titre juridique déterminant celles-ci, avant d’inviter les deux parties aux négociations en vue de la délimitation de leurs frontières maritimes.

En Droit, en l’absence d’une loi spéciale ou d’une convention des parties, les dispositions d’ordre général font autorité. Sur la base de ce principe, la Cour a invité le Gabon et la Guinée Équatoriale à engager des négociations en vue de la délimitation de leurs frontières maritimes sur le fondement de la convention des Nations Unies sur le Droit de la mer du 10 décembre 1982, texte juridique de portée générale, qui régit le Droit maritime dans le monde.

Pour la Cour internationale de Justice, la convention des nations unies suscitée est donc le document juridique de base pour les négociations à venir en vue de la délimitation des frontières maritimes entre le Gabon et la Guinée Équatoriale . On peut donc s’interroger sur la valeur juridique du décret no 0020/66/PR/MHCUCDL du 4 décembre 1992, cité par le Ministre de l’Intérieur devant la chambre haute du Parlement de la transition, comme texte reconnaissant l’île Mbanie comme faisant partie de la ligne de base pour la délimitation de notre territoire maritime.

Cet acte réglementaire unilatéral des autorités gabonaises est-il opposable à la partie guinéenne ? Nous voudrions bien y croire. Après l’incident de l’original de la convention de Bata, notre pays devrait désormais faire preuve de rigueur dans l’appréciation des titres juridiques à verser pour le règlement de ce litige. Si le Gabon est détenteur d’un titre juridique signé de toutes les parties et reconnaissant l’île Mbanie comme faisant partie d’un ensemble de points de définition de la ligne de base pour notre tracé maritime, il serait louable d’en faire état, le cas échéant, il serait intéressant d’en être prudent et d’écarter purement et simplement cet acte réglementaire du débat.

Après avoir circonscrit le contenu du dispositif de l’arrêt de la Cour internationale de Justice, il serait judicieux d’envisager les mécanismes conjoints de son exécution.

II-Exécution de l’arrêt

Sur la délimitation des frontières terrestres entre nos deux Etats, la Cour a indiqué que seule la convention de Paris de 1900 était applicable. Cette convention indique que “La limite entre les possessions françaises et espagnoles sur la côte du Golfe de Guinée partira du point d’intersection du thalweg de la rivière Mouni, avec une ligne droite tirée de la pointe Coco Beach à la pointe Diéké. Elle remontera ensuite le thalweg de la rivière Mouni et celui de la rivière Outemboni jusqu’au point où cette dernière rivière est coupée pour la première fois par le 1er degré de latitude Nord et se confondra avec ce parallèle jusqu’à son intersection avec le 9° de longitude Est de Paris. De ce point, la ligne de démarcation sera formée par ledit méridien 9 Est de Paris jusqu’à la rencontre avec la frontière méridionale de la Colonie allemande du Cameroun“.

Il faut déjà noter le caractère purement technique de cette indication, qui nécessite l’expertise des géographes et géologues pour sa bonne traduction en réalité de terrain ou cartographique. La première question qui émerge à ce stade est celle de savoir si l’Etat gabonais dispose-t-il des documents techniques traduisant cette délimitation, notamment des rapports de collecte des données géographiques et leur traduction sur des cartes ? Si oui, ces outils techniques ont-ils été élaborés conjointement avec les experts de la partie guinéenne ? Si non, il serait judicieux de tout reprendre ensemble.

L’intérêt d’un travail conjoint dans le contexte actuel réside d’abord dans l’impérieuse nécessité de disposer d’outils techniques fiables, non contestables par les parties dans ce contexte sensible. Ces documents techniques conjointement élaborés pourraient aussi permettre à toutes les parties de s’assurer que le narratif public sur les villes guinéennes, qui seraient sur le territoire gabonais, et inversement, est communément partagé.

Il s’agit enfin de disposer d’outils d’aide à la décision, qui pourraient servir de base technique à d’éventuelles négociations entre les deux parties dans le même cadre ou à l’occasion d’autres circonstances. L’exécution de ce volet de la décision de la Cour internationale de Justice devrait donc aboutir à la mise en place d’une commission technique conjointe chargée de vérifier la fiabilité des documents techniques existants sur la question de la délimitation de nos frontières terrestres, le cas échéant, d’en élaborer conformément à la convention de Paris de 1900.

Sur la souveraineté affirmée de la Guinée Équatoriale sur les îles Mbanie, Cocotier et Conga, le Gabon n’aurait d’autre choix que d’en tirer les conséquences de droit qui en découlent, en retirant ses forces de défense de Mbanie et en exerçant sa pleine souveraineté sur le reste du territoriale martime, conformément à la convention des nations unies sur le Droit de la mer, suscitée.

Selon cette convention, la mer territoriale d’un État côtier s’étend jusqu’à une largeur de 12milles marins à partir de la côte, soit 22 Km. Or, l’île Mbanie est située à environ 10km des côtes gabonaises et à environ 24 km des côtes guinéennes. Elle est donc située sur le territoire maritime du Gabon. A ce titre, elle est soumise à la pleine souveraineté du Gabon.

La cession de la souveraineté de cette île à la Guinée Équatoriale est donc assortie de certaines conditions qui nécessiteront la signature entre les parties d’une convention d’exercice de la souveraineté de la Guinée Équatoriale sur l’île Mbanie dans les eaux territoriales du Gabon. En effet, sur la foi de la convention des nations unies sur le Droit de la mer, la partie guinéenne bénéficiera d’un droit de passage inoffensif pour accéder à son territoire de Mbanie.

Ce droit de passage est encadré par des dispositions pertinentes de la convention des nations unies suscitée, lesquelles soumettront constamment la partie guinéenne aux contrôles et aux autres formalités d’autorisation de passage délivrées par les autorités gabonaises, le droit de passage inoffensif signifiant que la partie guinéenne devrait se garder d’entreprendre sur l’île des activités susceptibles de compromettre la sécurité individuelle ou collective des gabonais et de leur territoire maritime.

La Guinée Équatoriale exercera donc une souveraineté sous conditions sur l’île Mbanie et ces conditions devront être consignées dans un document signé de toutes les parties. Aussi, si l’obstination de la partie guinéenne à étendre sa souveraineté sur l’île Mbanie était motivée par des considérations économiques, il est à craindre que sa désillusion ne soit grande, car il est d’interprétation constante que la souveraineté d’un État côtier sur sa mer territoriale est absolue et s’étend sur les îles qui s’y trouvent.

Autrement dit, toute île située sur les eaux territoriales d’un autre État côtier est soumise statutairement à la pleine souveraineté de cet État et ne peut, par conséquent, générer sa propre mer territoriale. Les frontières de l’île Mbanie se limitent donc à sa partie de terre émergée et son sous-sol. Toutes les eaux autour de l’île et leurs ressources naturelles appartiennent à l’Etat gabonais.

Or, l’île Mbanie est un minuscule territoire d’à peine 30 hectares, soit 0, 3Km2. Et comme l’a affirmé le Ministre des Affaires étrangères devant les vénérables sénateurs de la transition, aucune étude à ce jour ne montre que cette petite portion de terre regorge des ressources naturelles en dehors des bancs de sable visibles sur place.

La désillusion de la partie guinéenne pourrait donc être bien plus grande dans les jours à venir. Mais, dès lors que l’arrêt de la CIJ a attribué la souveraineté de ces îles à la Guinée Équatoriale, le Gabon n’a d’autre choix que d’en tirer les conséquences de Droit, sachant pertinemment qu’il ne perd absolument rien à exécuter cette partie de la décision de la Cour en l’état. Les deux parties devront donc logiquement mettre en place une commission technique conjointe chargée d’élaborer l’avant-projet de convention définissant les conditions d’exercice de la souveraineté de la Guinée Équatoriale sur l’île Mbanie.

Sur les frontières maritimes, la Cour a invité les deux parties à engager des négociations en vue de la délimitation de leurs frontières maritimes conformément aux dispositions pertinentes de la convention des nations unies sur le Droit de la mer suscitée.

Par cette décision, la Cour tente de combler un vide juridique, en invitant les parties à établir conjointement un titre définissant leurs frontières maritimes. Munie de ce titre juridique, chaque partie pourrait désormais naviguer, tout sachant et en toute sécurité dans son espace maritime. Aujourd’hui, avec la montée de la criminalité en milieux marins, il n’est pas acceptable que l’espace maritime de nos deux Etats soit une zone de non Droit. Il est alors impérieux que les deux parties mettent en place une commission technique, sous l’égide de l’ONU, chargée de proposer aux autorités nationales, un avant-projet de convention délimitant leurs frontières maritimes.

En sommes, nous pouvons affirmer que sur toute la ligne, le Gabon ne perd absolument rien à exécuter en l’état l’arrêt de la Cour internationale de Justice. En optant pour un règlement à l’amiable de ce litige, sans avoir vidé la phase juridique déclenchée par la partie guinéenne, notre pays court le risque de s’enfermer dans un autre labyrinthe politique dont il n’en sortira peut-être plus.

La Guinée Équatoriale ayant fait preuve de mauvaise foi dans ce dossier, il serait judicieux de l’enfermer dans ce jeu, en conduisant le processus juridique à son terme. Bien après et à l’épreuve des faits, si la partie guinéenne le sollicite, les autorités gabonaises pourraient entrevoir la possibilité d’un règlement à l’amiable de ce différend, à la faveur d’une nouvelle convention que la partie gabonaise négocierait en position de dominante.

Contrairement à l’opinion répandue sur ce dossier , le Droit est véritablement dans notre camp. Il serait alors souhaitable de ne pas mettre la charrue avant les boeufs en ouvrant d’autres cycles de négociation politique avant de vider la question juridique qui mettrait le Gabon en position dominante.

Nestor BINGOU,

Magistrat.


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