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des bricolages institutionnalisés (Libre tribune) –

Pour le grand juriste français Paul Durand, « Le risque est le plus souvent un événement malheureux (…), il porte alors le nom de sinistre. Mais la qualification (…) peut même être donnée à des événements heureux ». La liste de ces occurrences n’est pas exhaustive : maladies, accidents, maternité, décès, vieillesse, incapacité, invalidité, etc. Devant ces aléas de la vie, la réponse du citoyen gabonais sera individuelle ou familiale, mais il peut également se tourner vers la Nation ou l’Etat comme cela se fait ailleurs.

En appliquant à la lettre l’adage « aide-toi et le ciel t’aidera », notre compatriote peut lui-même supporter le coût des dépenses liées à ces vicissitudes, en se servant de ses revenus ou en puisant dans son épargne. Historiquement, la réponse individuelle ne suffisant pas toujours, il a fallu faire appel à la solidarité sous ses diverses formes, la plus ancienne d’entre elles se trouvant dans l’espace familial. Ce sont en effet les proches qui vont se mobiliser pour apporter leur concours au soulagement des difficultés de l’un des leurs. Aujourd’hui, et en dépit de la nostalgie que l’on peut nourrir pour le village, ou encore de l’attachement atavique pour les institutions dites traditionnelles que l’on trouverait dans ce milieu, elles ne sont pas toujours à même d’apporter des solutions efficaces et pérennes lorsque se réalisent nombre de risques de l’existence.

De ce fait, et dans un mouvement parti de l’Europe depuis près de deux siècles maintenant, la puissance publique a commencé à organiser des mécanismes de protection collective face à ce que l’on a appelé les risques sociaux, c’est à dire toute situation susceptible de compromettre la sécurité économique de l’individu ou de sa famille. Cette intervention se fait soit directement par la gestion d’un certain nombre de prestations, soit par délégation à travers des organismes d’assurances ou de sécurité sociale, des mutuelles ou des institutions de prévoyance. Qu’en est-il dans notre pays ?

A l’article 5 du Code de Protection Sociale, il est écrit que le système de protection sociale gabonais couvre les neuf risques prévus par la convention 102 de l’OIT (que le Gabon n’a pourtant jamais ratifié il faut le préciser) : maternité, charges familiales, santé, en termes de soins, maladie, en termes d’indemnités, accident du travail et maladie professionnelle, chômage, invalidité, vieillesse, décès. Dans le même texte, on trouve un article 11 annonçant la couverture sociale de toutes les couches de la population.

La question qui se pose ici est celle de savoir si la protection sociale gabonaise couvre tous les individus. Pour y répondre, nous aurons recours aux chiffres communiqués par l’OIT. Il en ressort que sur le continent africain, seulement près de 20 % de la population bénéficieraient de couvertures sociales. Il n’y a aucune raison objective que notre pays fasse exception en la matière. Pourtant à la lecture de l’article 22 du Code de Protection Sociale, le doute semble permis. Il découle de ce texte qu’une fois la condition de résidence remplie, le droit aux prestations sociales serait largement ouvert, aucune catégorie sociale ne semblant être oubliée :

« Sont potentiellement assujettis aux régimes de sécurité sociale et peuvent bénéficier dans les conditions fixées par les textes en vigueur de l’ensemble des prestations ouvertes au titre de la sécurité sociale, toutes les personnes qui résident régulièrement sur le territoire national, notamment les : employeurs des secteurs public et privé ; travailleurs salariés ; travailleurs non‐salariés ; salariés de l’Etat, des administrations publiques et des collectivités locales ;  travailleurs indépendants et assimilés ; travailleurs saisonniers ou occasionnels ; professionnels de spectacles ; professionnels agricoles ; professionnels du sport ; travailleurs sociaux ; agents publics ; membres des institutions constitutionnelles ;  titulaires d’une pension ou d’une rente, quel que soit leur régime d’affiliation ; élèves et étudiants non couverts au titre d’ayant droit ; assujettis volontaires, dans les conditions définies par les textes en vigueur ».

Le sentiment d’une réelle société des égaux (pour reprendre le titre d’un essai de Pierre Rosanvallon) se renforce davantage au regard de l’article 10 du Code de Protection Sociale : « Les prestations sociales se fondent sur l’appartenance du bénéficiaire à la société, indistinctement de l’activité et du statut de celui‐ci ». Et pour taire tout scepticisme, il y a le contenu alliciant du Titre II de notre Code de Protection Sociale. Les articles qui le composent intègrent en effet pour le bénéficie des prestations de protection sociale, l’ensemble de la population gabonaise.

Dans cet inventaire exhaustif, aucune catégorie ne semble oubliée. Il suffit pour s’en convaincre de prendre connaissance des dispositions suivantes.

  • Article 22 du code précité, s’agissant des assujettis aux régimes de sécurité sociale: « employeurs des secteurs public et privé ; travailleurs salariés ; travailleurs non‐salariés ; salariés de l’Etat, des administrations publiques et des collectivités locales ; travailleurs indépendants et assimilés ; travailleurs saisonniers ou occasionnels ; professionnels de spectacles ; professionnels agricoles ; professionnels du sport ; travailleurs sociaux ; agents publics ; membres des institutions constitutionnelles ; titulaires d’une pension ou d’une rente, quel que soit leur régime d’affiliation ; élèves et étudiants non couverts au titre d’ayant droit ; assujettis volontaires, dans les conditions définies par les textes en vigueur ».
  • Article 25, sont assujettis au système de garantie sociale et des aides sociales : « les Gabonais Economiquement Faibles ; les chômeurs ; les personnes du 3e âge ; les parents isolés sans emploi ; les élèves et étudiants ; les personnes handicapées adultes ; la veuve, le veuf et l’orphelin sans ressources ».
  • Article 35, peuvent être assujetties aux régimes des travailleurs mobiles et indépendants, les personnes résidant régulièrement au Gabon qui font partie des catégories ci-après : « gens de maison ; rotateurs ; avocats ; notaires ; huissiers de justice ; artisans ; commerçants ».

Au vu de ce qui précède, le système gabonais de protection sociale est universel, c’est-à-dire que l’ensemble des citoyens et des résidents ont une couverture sociale. Pourtant, la lecture des mêmes textes tempère tout aussi rapidement l’enthousiasme qui a pu habiter l’analyste. Le législateur a en effet précisé au dernier alinéa de l’article 22 que : « Les textes organiques de chaque régime de prestation sociale en déterminent les assujettis ». En d’autres termes, s’il est vrai que tous les citoyens et même tous les résidents au Gabon ont droit à la sécurité sociale dans l’absolu, tout dépend en fait du régime de chaque prestation, les mieux lotis étant certainement les salariés de droit privé et les agents publics.

Les premiers nommés bénéficient de couvertures vieillesse, décès, prestations familiales et accidents du travail et maladies professionnelles gérées par la CNSS. Pour la maladie, la compétence échoit à la CNAMGS. S’agissant des seconds, c’est la Caisse des Pensions et des Prestations Familiales des Agents de l’Etat (CPPF) qui pilote leurs risques vieillesse et prestations familiales, la maladie étant géré par le Fonds 2 de la CNAMGS.

Par ailleurs, le décret n° 00097/PR/MDSFPSSN du 19/03/2018 modifiant et complétant certaines dispositions du décret n°0226/PR/MPSSN du 23 juin 2014 déterminant les modalités d’attribution des filets de protection économique et des revenus solidaires en République Gabonaise énonce en son article 4 nouveau que : « L’assistance aux GEF est accordée sous condition et peut être réduite ou supprimée selon l’évolution de la situation économique du bénéficiaire, après enquête sociale ». L’article 5 du même texte en précise les bénéficiaires qui sont : « les personnes en situation de handicap ; les conjoints survivants sans ressources ; les personnes âgées de 60 ans et plus ; les mères célibataires âgées de moins de 45 ans ; les jeunes en difficultés sociales de 16 à 25 ans ».

L’ensemble de ces personnes a droit aux termes de l’article 8 du décret précité aux transferts monétaires suivants : « les allocations financières ; le ticket modérateur santé ; l’aide à la scolarité ou à la formation professionnelle ; la gratuité des frais d’accueil dans les haltes garderies publiques ». Elles ont également accès aux prestations maladies du Fonds de garantie sociale, et bénéficient des allocations familiales.

Malgré cette incontestable extension de la protection sociale, de nombreux pans de la population en sont exclus. C’est notamment le cas des professions indépendantes ou encore de la cohorte des travailleurs du secteur informel. Par ailleurs, même quand elles existent les niveaux de certaines prestations n’est pas toujours satisfaisant comme on le verra dans le troisième volet de cette pentalogie. Mais pour exercer ses droits à la protection sociale, le citoyen gabonais est confronté à un certain nombre de difficultés au nombre desquelles l’accessibilité aux textes et leur obsolescence.

La première difficulté ne fera pas l’objet de développements conséquents, tant elle relève de l’évidence. Il suffit pour s’en convaincre de consulter les sites internet de la CNAMGS ou de la CNSS. Si on retrouve en effet des formulaires à télécharger sur le site de la CNSS, pour ce qui est des textes, seuls la loi de 1975 et le décret d’application vieux de plus de quarante ans sont disponibles. Il en est de même de la CNAMGS avec 4 textes consultables sur son site web.

Pour avoir largement par le passé dénoncé la frénésie des dirigeants gabonais à multiplier les modifications de la Constitution au point de la fragiliser (A. Emane, « Usages et mésusages du droit au Gabon depuis le magistère d’Ali Bongo Ondimba », Politiques africaine n° 174, 2024/2), il peut paraître curieux de nous voir en adopter le contrepied. Pourtant, il n’y a rien d’incohérent à notre démarche. Même Montesquieu qui était rétif aux changements constants de législations reconnaissait dans les Lettres persanes qu’il était nécessaire de changer certaines lois (tout en recommandant de n’y toucher que d’une main tremblante quand on les modifiait).

Notre objection peut paraître anachronique alors que le législateur a modifié récemment les dispositions de l’ordonnance du 21 août 2007 instituant un Régime Obligatoire d’Assurance Maladie et de Garantie Sociale en République Gabonaise (Loi n°036/2023 du 17 Juillet 2023 portant modification et suppression de certaines dispositions de l’ordonnance n°0022/PR/2007 du 21 aout), ainsi que celle de la loi n° 6/75 du 25 Novembre 1975 portant Code de la Sécurité Sociale (Loi n°037/2023 du 17 juillet 2023). Néanmoins, l’obsolescence est persistante dans la mesure où les changements qui sont introduits sont minimes : pour la majorité des articles, il s’est surtout agi de retirer des lettres à des alinéas pour les remplacer par des tirets. Et pourtant, il y avait de quoi faire !

Vieille de près de 50 ans bientôt, la loi n° 6/75 du 25 Novembre 1975 portant Code de la Sécurité Sociale n’a fait l’objet que de peu de modifications depuis lors, si l’on excepte les adaptations liées aux transferts de certaines compétences par la CNAMGS (décret n° 0255/PR/MFAS du 19 juin 2012 déterminant les modalités pratiques du transfert des compétences de la CNSS à la CNAMGS).

On pourrait se dire et se réjouir que ce texte ne posant aucune difficulté, il n’y a aucune raison de le modifier. Toutefois, au regard de nombre de ses dispositions, une telle posture n’est nullement justifiée. Il faut pour le comprendre se plonger dans le contexte d’adoption de ce code qui est, il ne faut pas se le cacher une pâle copie du code français, fruit du mimétisme juridique. Adopté au lendemain du boom pétrolier, et l’ambition de ce code est de doter le pays d’un système moderne de sécurité sociale.

S’il n’a pas subi de modifications majeures c’est certainement, parce que ce texte était considéré comme le premier palier d’un ensemble visant à couvrir l’ensemble de la population gabonaise, ce que confirme du reste l’adoption d’un Code de garantie sociale en 1983, et la création du régime obligatoire d’assurance maladie en 2007. Le Code de Protection Sociale de 2017 ne fait que renforcer cette lecture que l’on retrouve dans le dépliant de présentation de cette législation, dans les termes suivants : « Ainsi, l’ensemble des textes qui régissaient séparément ces différents domaines ont été harmonisés en un seul code, y compris ceux de la CNSS, de la CNAMGS, de la CPPF et du FNAS ». Pourtant, cette explication n’altère en rien le grief d’obsolescence signalé plus haut. Faute de pouvoir épuiser ce sujet, nous nous en tiendrons à trois illustrations.

La première d’entre elles, la reconnaissance des maladies professionnelles, est certainement l’une des plus emblématiques de ces situations. Comme on l’observe dans l’ensemble des pays africains, ce risque est rarement reconnu pour une raison qui tient avant tout à l’obsolescence des textes. Au sens de la loi n° 028/2016, constitue une maladie professionnelle toute lésion « contractée du fait du travail figurant dans un tableau établi à cet effet ». Le nouvel article 56 du Code de la sécurité sociale dispose va dans le même sens et précise en son article 3 que : « Il est procédé périodiquement à la mise à jour de cette liste pour tenir compte des nouvelles techniques de production et progrès dans la connaissance médicale des maladies professionnelles ».

Pourtant, cette liste qui relève de l’empire du décret n° 00017/PR/MT du 12 janvier 1967 n’a jamais été mise à jour, et demeure toujours une véritable arlésienne. Le caractère obsolète dénoncé ici tient à la fois à l’incapacité de produire un nouveau texte, mais également, et c’est réellement une question de fond, à la reprise systématique des vieilles lunes comme si d’autres solutions n’étaient pas possibles. Alors qu’il est bien connu que dans le monde la reconnaissance des maladies professionnelles peut se faire par un système de tableaux de maladies professionnelles (comme c’est le cas en France), un système de listes de maladies professionnelles (comme en Allemagne) ou encore un système basé sur une expertise médicale établissant le lien entre l’affection et le travail exercé, pourquoi s’accrocher absolument à un système de listes sans pouvoir le justifier ? Et si par extraordinaire, cela s’avérait si pertinent, pourquoi ne pas reprendre simplement la liste des maladies professionnelles établie par l’OIT ?

Le deuxième exemple concerne les bénéficiaires de certaines prestations. Dans un pays, où l’évocation des us et coutumes, des traditions et l’exigence de prendre en compte le contexte socioculturel est régulièrement rappelée, il est surprenant que le législateur ne s’en préoccupe point. C’est ainsi que l’article 67 nouveau du Code de la sécurité sociale s’agissant des prestations d’accidents du travail, prévoit qu’y sont éligibles : « le conjoint non divorcé ni séparé de corps, à condition que le mariage ait été contracté antérieurement au décès ; le conjoint séparé de corps ou le conjoint survivant divorcé qui bénéficie d’une pension alimentaire ; l’enfant à charge, tel que défini à l’alinéa 2 de l’article 46 de la présente loi ; l’ascendant du défunt qui était à sa charge au moment du décès ». Par ailleurs, le nouvel article 79 ne prévoit une pension de réversion que pour le conjoint survivant du retraité. Force est donc de constater que les partenaires des unions coutumières ne sont pas mentionnés, et ne disposent pas à ce titre des mêmes droits que leurs homologues des unions civiles.

S’agissant des enfants à charge, la loi gabonaise est même plus restrictive que la loi française, qui n’exige pas que l’enfant à charge ait un lien de filiation avec l’attributaire des prestations familiales. Ce peut même être un enfant recueilli comme un frère, une nièce, un enfant qu’on héberge chez soi (article 513-1 du Code français de sécurité sociale). A l’inverse, dans notre Code de Sécurité Sociale à l’article 46, 2°, la qualité d’enfant à charge suppose un lien de filiation :

« Ouvrent droit aux allocations familiales les enfants effectivement à la charge de l’assuré, qui résident au Gabon et qui entrent dans une des catégories suivantes :

a) les enfants issus du ou des mariages’ de l’intéressé à condition que ce ou ces mariages aient été inscrits à l’Etat Civil ;

b) les enfants des mères célibataires salariées ;

c) les enfants que la femme de l’assuré a eus d’un précédent mariage, lorsqu’il y a eu décès régulièrement déclaré ou divorce judiciairement prononcé, sauf lorsque les enfants sont restés à la charge du premier mari ou que celui-ci contribue à leur entretien ;

d) les enfants ayant fait l’objet d’une adoption par l’assuré marié, ou d’une

légitimation adoptive, conformément aux règles du Code Civil. »

L’obsolescence se traduit enfin par le maintien d’intitulés qui ne sont plus d’actualité. C’est le cas par exemple de la Prévoyance sociale qui est utilisée dans les libellés des gouvernements de 1970 à 1975, puis de 2000 à 2007, et en 2017. Dans le nouvel article 5 du Code de la Sécurité Sociale, il est encore fait mention du ministère de la prévoyance sociale. A cette obsolescence des intitulés s’ajoute des confusions d’ordre sémantique qui sont source d’insécurités juridiques.

Alors même que le discours militant sur nos « us et coutumes » irrigue les débats publics, force est de constater que nos textes sont encore profondément imprégnés, quand ils ne reproduisent pas simplement le droit français. La protection sociale gabonaise est comme exprimé plus haut une « pâle copie du système français ». Nombreuses sont les illustrations en ce sens. Nous nous contenterons ici de quelques illustrations.

La première se situe au plan sémantique avec la création de la Caisse Nationale de Sécurité Sociale en 1975. Certes, l’article 4 du Code de Protection Sociale donne la définition suivante de la sécurité sociale : « service public qui assure l’ensemble des risques sociaux des travailleurs salariés et des professions libérales, des agents publics, des travailleurs indépendants et des travailleurs non‐salariés, des salariés agricoles ». Mais si l’on s’en tient aux grandes catégories conceptuelles en matière de protection sociale, le système mis en place en 1975 relève plutôt des assurances sociales (tout comme le système français d’après 1945). Pourquoi perdurer à évoquer la sécurité sociale alors que ce n’est pas le cas ? Ce serait plutôt la CNAMGS avec son aspiration à l’universalité qui relèverait de la sécurité sociale.

On distingue en effet globalement les systèmes bismarckiens dits d’assurances sociales (d’origine allemande) d’une part et les systèmes beveridgiens dits de sécurité sociale (d’origine britannique) d’autre part. Les premiers se caractérisent par des droits individuels, et des prestations liées à la profession ou à l’activité économique, alors que dans les seconds, toute la population est couverte et a vocation à recevoir des prestations sans lien avec la profession ou l’activité économique, et financées par l’impôt. Au Gabon, la CNSS correspond au modèle bismarckien alors que la CNAMGS évoque plutôt Beveridge.

Une autre preuve du mimétisme se retrouve dans la rédaction de l’article 9 du Code de Protection Sociale : « Le système de protection sociale met en œuvre un principe général de solidarité nationale, entre générations et à l’intérieur de chaque génération.

Il consacre le caractère universel, obligatoire et solidaire de l’assurance maladie.

Il réaffirme solennellement le choix de la retraite par répartition au cœur du pacte qui unit les générations. »

Cet article ressemble étrangement aux dispositions françaises du Code de Sécurité Sociale suivantes :

« Article L. 111-1 al. 1er : « La sécurité sociale est fondée sur le principe de solidarité nationale. »

Article L. 111-2-1 : « I.- La Nation affirme son attachement au caractère universel, obligatoire et solidaire de la prise en charge des frais de santé assurée par la sécurité sociale. (…)

II.- La Nation réaffirme solennellement le choix de la retraite par répartition au cœur du pacte social qui unit les générations. (…) ».

Pourtant, le législateur gabonais aurait pu se permettre quelques audaces ici, en ne se contentant pas de reprendre seulement des notions, mais en les explicitant également. Le terme solidarité aurait assurément mérité un traitement particulier. Or, dans l’article 4 consacré aux définitions, la solidarité a été oubliée, alors même qu’elle serait selon l’article 9 précité un principe général mis en œuvre par notre système de protection sociale.

Pour exercer ses droits, le citoyen doit avoir connaissance du cadre normatif à sa disposition. C’est en effet dans les textes qu’il va trouver à la fois les prestations auxquelles il peut prétendre, et les conditions d’attribution de celles-ci. Or, dans le cas d’espèce, la clarté n’est pas toujours au rendez-vous.

Il y a d’abord l’interrogation sur la hiérarchie des textes en la matière. Quel est en effet l’ordonnancement actuel et la hiérarchie des textes ? Le code de la protection sociale de 2017 est-il un texte général, le Code de la sécurité sociale et l’ordonnance de 2007 étant des textes spéciaux ? On serait tenté de répondre par l’affirmative. Mais si on prend cette voie, il se posera tout de suite la question de la pertinence de ce texte qui ne peut que venir en appui des textes particuliers. Or, dans la pratique que nous observons, la CNSS en tant qu’organisme se considère comme liée au seul Code de 1975. La sagesse aurait dû commander de bâtir un Code de Protection Sociale coiffant l’ensemble des textes, et surtout les harmonisant. Or, à l’heure actuelle, nous sommes en présence d’un ensemble de textes épars chacun ayant sa logique propre, et avec de sérieux problèmes d’articulation.

Comment peut-on comprendre par exemple que le Code de la protection sociale en son article 4 annonce que la maladie professionnelle doit figurer dans un tableau, alors que pour sa part le Code de Sécurité Sociale évoque en son article 56 nouveau « la liste des maladies professionnelles ». En matière de maladies les listes et les tableaux ne sont pas des synonymes loin de là comme nous l’avons déjà signalé plus haut. Par ailleurs, le Code de Protection Sociale prévoit une reconnaissance de maladies hors tableaux sur laquelle le Code de Sécurité Sociale est muette.

Dans le prolongement de cette critique, il y a la méconnaissance des nouvelles normes dont le contentieux du non-versement des cotisations salariales nous fournit d’excellents cas de figure. Dans le Code de 1975, l’article 92 était ainsi libellé : « L’employeur qui a retenu par devers lui indûment la contribution du salarié au régime des pensions précomptée sur le salaire est passible des peines prévues par l’article 307 du Code Pénal réprimant l’abus de confiance ». Curieusement cette disposition continue à être appliquée par les juges alors même qu’elle a été abrogée par la loi n° 037/2023 du 17 juillet 2023. Parmi les infractions prévues par le nouvel article 90 il y a en effet, « le défaut de paiement de cotisations et particulièrement le non-versement de la part salariale précomptée ». Leur sanction est organisée par le nouvel article 91 dans les termes qui suivent :

« Tout employeur contrevenant aux prescriptions de la présente loi et de ses textes d’application est poursuivi devant les juridictions pénale la requête soit de la Caisse ou toute partie intéressée.

Les infractions prévues à l’article 90 ci-dessus sont passible des sanctions pécuniaires allant de 50.000 à 1.00.000 de francs. En cas de récidive, ces peines sont portées au double.

Ces infractions peuvent également être sanctionnées de peines d’emprisonnement allant de 1à3 mois et d’une amende de 250.000 à 1.000.000 de francs ou d’une de ces deux peines seulement. En cas de récidivées peines sont portées au double. »

Il y a ensuite le pouvoir créateur par le verbe dont le législateur use et abuse. Certes, il ne nous appartient pas de le lui contester. Néanmoins, il peut lui être demandé d’avoir à cœur le souci de se faire comprendre. C’est ainsi qu’alors qu’on aurait pu se réjouir que l’article 4 du Code de Protection Sociale apportât un éclairage sur les définitions, celles-ci s’avèrent parfois incompréhensibles, le législateur faisant étalage d’une curieuse fantaisie langagière. Au lieu de reprendre les définitions consacrées ailleurs y compris par la CIPRES, il n’a pas trouvé mieux que d’inventer des définitions qui ne correspondent à rien. C’est ainsi que la protection sociale devient dans la loi gabonaise l’ensemble des mécanismes de prévoyance sociale permettant aux individus de faire face aux conséquences des risques de la vie (…).

Or si l’on s’en tient à ce que prévoit la CIPRES (dont on est si friand au Gabon), la prévoyance renvoie aux salariés. La prévoyance est un élément de la protection sociale ni plus ni moins. Il en est de même des définitions données de l’affilié et de l’assujetti qui sont loin d’être parfaitement claires.

Aux termes de l’article 4 du Code de Protection Sociale, l’affiliation est le « lien de rattachement de l’employeur au régime assujetti à un régime de protection sociale ». L’article 2 du décret n° 0051/PR/MCP du 7 février fixant le régime des pensions de l’Etat reprend quasiment la même formulation : « situation de droit qui consacre le rattachement d’un organisme employeur à l’organisme ». Dans le même article on retrouve la définition suivante de l’assujetti : « personne physique ou morale éligible à un régime de protection sociale ». Dans le droit français qui est souvent repris, c’est une autre approche qui prévaut : l’affiliation ne peut concerner que les personnes physiques. Elle correspond au rattachement à une caisse de sécurité sociale vis-à-vis de laquelle se trouve obligatoirement un assuré social du fait de son assujettissement à un régime d’assurance sociale (article R. 312-1 Code de la sécurité sociale). Toujours en France, l’assujettissement est la « situation de droit dans laquelle se trouve une personne physique lorsqu’elle remplit les conditions de son rattachement (obligatoire ou volontaire) à un régime de sécurité sociale ; la décision d’assujettissement est normalement prise par la caisse d’affiliation et entraîne le versement immédiat de cotisations » (article L. 311-2 CSS). Pourquoi a-t-on besoin de faire de l’employeur un affilié à une caisse ? Doit-on considérer alors que l’Etat est affilié à la CPPF, ce qui peut paraître conceptuellement difficile à envisager ? La même question vaut pour l’assujettissement.

On peut finir par admettre l’idée que le législateur gabonais puisse souverainement décider les définitions qu’il veut, mais encore faut-il qu’il y ait un minimum de cohérence ! Or, toujours à l’article 4, l’adhérent est : « tout travailleur intégrant le régime de protection sociale volontaire ou obligatoire ». Là encore, on se dit pourquoi pas, sauf que ce mauvais ordonnancement vole en éclats au regard de la définition suivante donnée de l’assurée : « affilié bénéficiaire des prestations servies par un régime de sécurité sociale ou personne sur la tête de laquelle repose l’assurance ». Que comprendre alors, le même article nous ayant dit que l’affilié est l’employeur ? C’est donc ce dernier qui est l’assuré et qui va bénéficier de prestations ? Mais l’article 13 du même code énonce : « est affilié aux régimes obligatoires de sécurité sociale du présent Code, tout travailleur exerçant (…) pour le compte d’un ou plusieurs employeurs ». Qui est alors l’affilié de l’article 4 ? L’ensemble devient kafkaïen avec l’article 11 qui mentionne : « l’affiliation personnelle intéressée ou par leur rattachement en tant qu’ayant droit d’un affilié ».

D’autres incongruités dans cet inénarrable article 4 du Code de Protection Sociale se retrouvent dans les définitions données de la prévoyance sociale et de la protection sociale qui deviennent quasiment des synonymes, et dans celle de la prévention qui ne concerne que les risques professionnels. Ces bricolages se poursuivent avec l’incapacité et l’invalidité. La première est « la réduction temporaire ou permanente de certaines facultés ou fonctions physiques ou mentales chez une personne », alors que la seconde est présentée comme « la réduction partielle ou totale des capacités physiques ou mentales de l’assuré », ce dernier étant l’affilié donc l’employeur mentionné plus haut. Pour la personne du 3ème âge pourquoi recourir à une logorrhée inutile (« personne physique de nationalité gabonaise âgée de soixante ans et plus ou ayant atteint l’âge limite d’admission à la retraite, abandonnée, sans revenu et en détresse sociale »), alors qu’on aurait pu se contenter de la seule référence à l’âge ?

Malheureusement, l’article 4 du Code de Protection Sociale n’a pas l’exclusivité en la matière. L’article 10 plonge également le lecteur dans un abime de perplexité quand il découvre ce qui suit : « Les prestations sociales se fondent sur l’appartenance du bénéficiaire à la société, indistinctement de l’activité et du statut de celui‐ci ». Quid de cette appartenance à la société, et de quelle société s’agit-il ? Par ailleurs, le caractère indistinct de l’activité ne peut manquer de surprendre quand on connait la CNSS ou la CNAMGS par exemple. Nul n’ignore que des conditions d’activité fondent le bénéfice des prestations servies par ces organismes. 

Parfois, il se dégage le sentiment que le législateur gabonais vit dans un monde parallèle. Dans un pays où les observateurs notent avec regret que les lois sont toujours inachevées parce que les textes d’application ne sont jamais pris, voilà que l’on abroge une disposition qui si elle ne satisfaisait pas par son contenu était au moins clair au fond. Le futur retraité savait que le montant de sa pension serait égal à 35% de sa rémunération mensuelle moyenne plafonnée. Or, voilà que dans le nouvel article 78 il est écrit que : « Le montant mensuel de la pension de vieillesse, de la pension proportionnelle ou de la pension anticipée est égal à un pourcentage de la rémunération mensuelle moyenne. Ce montant est majoré d’une bonification par année supplémentaire au-delà de la durée de l’assurance requise. » Comme si cela ne suffisait pas le dernier alinéa indique que : « Les montants et pourcentage, ainsi que les modalités de calcul prévus au présent article, sont fixés par décret conformément aux résultats des études actuarielles à réaliser tous les 5ans. »

Le décret n°00097/PR/MDSFPSSN du 19/03/2018 modifiant et complétant certaines dispositions du décret n°0226/PR/MPSSN du 23 juin 2014 déterminant les modalités d’attribution des filets de protection économique et des revenus solidaires en République Gabonaise s’inscrit dans la même trajectoire. Jusque-là tout paraissait clair avec un montant clairement défini pour la qualité de GEF. Qu’apporte le nouvel article 4 ainsi rédigé : « L’assistance aux GEF est accordée sous condition et peut être réduite ou supprimée selon l’évolution de la situation économique du bénéficiaire, après enquête sociale ». Le plafond des ressources a disparu, laissant la place à un certain flou.

Enfin, pour dépasser le stade de l’approximation, il y a des dispositions qui relèvent au mieux de l’oracle de la Pythie au pire des manœuvres de Dolos. Pourquoi évoquer à de multiples reprises l’assurance chômage, alors qu’il n’y a jamais eu le moindre commencement de mise en place d’un régime pour ce risque annoncé à l’article 16 du Code de Protection Sociale ? Pourtant dans le Titre 2 du Code de Protection Sociale, un chapitre 6 comprenant 9 articles est consacré aux régimes d’assurance chômage.

En guise de conclusion, la recommandation à faire serait que l’on procédât à un état des lieux des différents textes, dont nous n’avons donné ici qu’un infinitésimal échantillon. Il n’y a aucune obligation à codifier certes, mais si on décide de s’en prévaloir autant le faire dans les règles. Tant qu’à réformer, que cela ne se limite pas qu’à de la cosmétique ou à des effets d’annonce, comme on a pu le voir avec le Code de Protection Sociale !

Augustin EMANE, Maître de conférences HDR à l’UFR Droit de l’Université de Nantes, UMR CNRS 6297, Point Sud Institute Bamako, Academia Brasileira de Direito do Trabalho, Cabinet Mayila à Libreville

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