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Concours de l’ENI : Quand les diplômés du supérieur convoitent un concours de niveau bac

29 mai 2025

Ils sont titulaires de licence, parfois même de master, et se retrouvent massivement dans les centres de composition du concours d’entrée à l’École Normale des Instituteurs (ENI), aux côtés de jeunes bacheliers. Ce concours, censé être un tremplin vers la carrière d’instituteur pour les candidats fraîchement sortis du secondaire, attire désormais des profils surqualifiés. Une dynamique révélatrice d’un déclassement éducatif et professionnel silencieux, mais profond.

Lors de la session 2025, plus de 15 000 candidats ont tenté leur chance pour seulement 800 places offertes à travers le pays. Fait marquant : plusieurs centaines d’entre eux étaient déjà diplômés de l’enseignement supérieur. Cette affluence d’universitaires dans un concours destiné aux bacheliers crée un déséquilibre de plus en plus visible : les jeunes issus du secondaire se retrouvent en concurrence avec des candidats disposant de plusieurs années d’études supplémentaires.

Cette surcompétition n’est pas sans conséquences. Elle engendre une forme d’injustice implicite pour les véritables cibles du concours : les bacheliers. Mais elle soulève surtout une problématique plus large : l’inadéquation croissante entre les formations proposées et les débouchés réels sur le marché du travail.

Cette ruée vers un concours de niveau bac de la part de diplômés du supérieur s’explique d’abord par la rareté des opportunités. Le marché de l’emploi gabonais, étroit et peu diversifié, peine à absorber les milliers de jeunes diplômés qui en sortent chaque année. Selon la Banque mondiale, le taux de chômage des jeunes diplômés frôle les 38 %, bien au-dessus de la moyenne nationale.

Dans ce contexte, la fonction publique reste perçue comme l’un des derniers bastions de stabilité professionnelle. Mais les concours qui lui sont dédiés se font rares, ou sont perçus comme inaccessibles. Alors, les diplômés se rabattent sur les concours de niveau inférieur, comme celui de l’ENI, vu comme une porte d’entrée par défaut dans l’administration.

Ce phénomène révèle aussi un manque criant d’orientation scolaire et professionnelle, dès le secondaire. Les élèves sont souvent livrés à eux-mêmes, sans accompagnement pour construire un projet professionnel cohérent. Une fois à l’université, les passerelles vers l’emploi restent floues, et les formations, surtout dans les filières généralistes (lettres, sciences sociales), peinent à convaincre le marché du travail.

Résultat : le métier d’instituteur, malgré son manque d’attractivité structurelle, devient une option de repli pour des jeunes en quête de stabilité. L’ENI, pourtant conçue pour former des enseignants motivés et engagés, accueille alors des candidats parfois plus soucieux de sécurité de l’emploi que de vocation éducative.

Cette situation met en lumière un manque de cohérence dans les politiques publiques. L’absence de planification prévisionnelle des besoins en enseignants, le défaut d’un référentiel national des qualifications, et la faible articulation entre enseignement supérieur et emploi en sont les principaux symptômes.

Dans d’autres pays, des pistes de solutions émergent. Au Cameroun, le même phénomène est observé, mais reste contenu. En Côte d’Ivoire, des concours distincts ont été créés pour les diplômés du supérieur souhaitant se reconvertir dans l’enseignement. Le Rwanda, quant à lui, mise sur une planification dynamique appuyée sur des données actualisées pour ajuster offre de formation et besoins réels.

Au Gabon, une réforme profonde semble désormais inévitable. Pour répondre à cette crise, plusieurs pistes sont évoquées : instaurer des concours différenciés selon les niveaux de qualification ; ouvrir des canaux spécifiques de recrutement pour les diplômés du supérieur ; refondre l’orientation dès la classe de première.

Par ailleurs, la revalorisation du métier d’enseignant devient cruciale. Rémunérations, perspectives d’évolution, reconnaissance statutaire : il est urgent de redonner à cette profession l’attractivité qu’elle mérite pour attirer les bons profils, au bon niveau.

C’est dans cette dynamique que s’inscrit la création de l’Institut de Formation des Professeurs d’Écoles (IFPE) et de l’Institut de Formation aux Métiers de l’Éducation (IFME). Ces deux établissements, autonomes et professionnalisants, viennent progressivement remplacer l’ENI. Le premier sera dédié à la formation des enseignants du primaire, avec des cursus adaptés au niveau des candidats. Le second visera la formation continue et les autres métiers de l’éducation, notamment au secondaire.

Pour les planificateurs de l’éducation, ces réformes constituent une avancée stratégique. Elles permettront :

d’orienter de façon différenciée bacheliers, licenciés et titulaires de master ;

de réguler les flux de formation pour éviter les encombrements ;

de réorganiser la carte des établissements, en l’adaptant aux besoins réels du terrain.

Au fond, l’afflux massif de diplômés vers le concours de l’ENI est le symptôme d’un désajustement systémique. Il met en lumière l’écart croissant entre les attentes individuelles des jeunes Gabonais, les formations disponibles, et les perspectives d’emploi.

Plus qu’une anomalie passagère, c’est un signal d’alarme. Il appelle une réponse globale, planifiée, et ambitieuse.

Comme le souligne Jean-Faustin Mvone Mba , Ingénieur de la planification et gestion des projets, des politiques d’éducation et de formation : approche internationale

« Le rôle du planificateur est d’alerter, de proposer et d’accompagner des choix courageux. Ce n’est qu’en anticipant les mutations du système, à travers des données fiables et une vision cohérente, que nous pourrons redonner du sens, de la justice et de l’efficacité à notre politique éducative. »

Par Eugène Boris ELIBIYO

Planificateur des systèmes éducatifs |

Conseiller en éducation | Formateur à l’ENIL


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