Alors que le Sénégal s’engage dans une nouvelle phase politique, marquée par l’accession au pouvoir d’une génération portée par les aspirations populaires au changement, l’opposition parlementaire choisit de se retirer temporairement du jeu institutionnel. Le récent boycott annoncé par les 25 députés de l’opposition est un signal fort, mais ambigu. Il traduit autant une volonté de protestation contre ce qu’ils perçoivent comme un déséquilibre des pouvoirs qu’une réelle difficulté à exister politiquement dans un paysage désormais recomposé.
Cette décision s’inscrit dans un contexte où l’opposition est non seulement minoritaire mais profondément fragmentée. Les dernières élections législatives ont acté une recomposition brutale : une coalition présidentielle solide, menée par un Premier ministre populaire, Ousmane Sonko, qui bénéficie d’un double socle – parlementaire et populaire – difficile à ébranler dans l’immédiat. Face à cette majorité disciplinée et portée par une dynamique de rupture, l’opposition semble désorientée, désunie, et surtout, dépourvue de cap stratégique.
- Une minorité éclatée et sans ancrage.
Le cas d’Anta Babacar Ngom est symptomatique de cette crise de représentativité. Candidate ambitieuse, mais encore marginalisée dans l’appareil parlementaire, elle peine à s’imposer comme une voix forte, à la fois en raison de son faible score électoral et de son absence de réseau politique solide au sein de l’hémicycle. Si sa posture est celle de la jeunesse ambitieuse et indépendante, elle se heurte à la réalité arithmétique et à un manque d’implantation nationale.
Thierno Alassane Sall, de son côté, apparaît plus affaibli que jamais. Son discours technocratique, pourtant nécessaire dans le débat public, ne trouve que peu de relais dans une Assemblée dominée par des figures charismatiques et populaires. Pire encore, ses résultats électoraux extrêmement faibles l’ont relégué au rang de commentateur politique, plus qu’acteur politique à proprement parler. Légitimité électorale absente, force parlementaire quasi inexistante : difficile, dans ces conditions, de prétendre incarner une alternative sérieuse.
Quant à Abdou Mbow, son isolement est d’autant plus cruel que sa formation politique, l’Alliance pour la République et les fragments de la coalition BBY peinent à se réorganiser après le départ en “exil” de Macky Sall. L’ancien président, qui avait toujours concentré pouvoir et stratégie entre ses mains, a laissé un vide que personne ne semble en mesure de combler. Abdou Mbow, longtemps perçu comme un fidèle lieutenant, apparaît aujourd’hui comme une figure esseulée, prise entre la loyauté à un camp disparu et l’impossibilité de construire un discours d’opposition cohérent face au nouveau pouvoir.
- Un boycott qui révèle plus qu’il ne dénonce.
Dans ce contexte, le boycott de l’Assemblée nationale ressemble davantage à une fuite en avant qu’à une stratégie mûrie. En se retirant de l’arène parlementaire, cette opposition prend le risque de devenir spectatrice du processus législatif, au moment même où le gouvernement conduit des réformes majeures. Il ne suffit pas de dénoncer une majorité “écrasante” pour masquer une absence de projet alternatif. L’opposition, au lieu de jouer son rôle de contre-pouvoir institutionnel, se place en marge du débat, ce qui ne peut qu’accentuer sa marginalisation auprès de l’opinion publique.
La jeunesse sénégalaise, qui a massivement contribué à la rupture politique de 2024, attend aujourd’hui des solutions, pas des postures. Elle juge moins sur les discours que sur les actes. Or, en désertant les bancs de l’Assemblée, l’opposition montre ses limites, son impuissance, et son éloignement croissant des préoccupations réelles des citoyens.
- Face à un Premier ministre très fort, une opposition sans cap
Ousmane Sonko, en sa qualité de Premier ministre et figure centrale du nouveau pouvoir, incarne une autorité politique forte, à la fois institutionnelle et populaire. Contrairement à ce que redoutaient certains de ses détracteurs, il semble avoir su transformer sa rhétorique de contestation en capacité de gouvernance. Il bénéficie d’un soutien solide dans l’Assemblée, d’un appui populaire constant, et surtout, d’un récit politique cohérent : celui de la refondation.
Dans ce rapport de forces, l’opposition apparaît en retard d’une guerre. Elle est divisée, sans stratégie claire, sans porte-voix incontestable, et souffre d’un cruel déficit d’ancrage. Le boycott de l’Assemblée ne fera que renforcer cette impression de vide, et pourrait même faire le jeu de la majorité, qui gagnera en liberté d’action, sans véritable contradicteur.
- Repenser le rôle de l’opposition : entre introspection et refondation.
Il est urgent pour l’opposition sénégalaise de sortir de la logique du “contre” pour entrer dans celle du “projet”. Le temps des calculs politiciens est révolu. Face à une majorité disciplinée et à un pouvoir exécutif cohérent, seule une opposition structurée, programmatiquement claire, et connectée aux attentes populaires pourra jouer son rôle dans l’équilibre démocratique.
Ce renouveau ne pourra se faire sans une profonde introspection. Les partis doivent clarifier leur ligne, renouveler leurs cadres, investir les territoires, et surtout, abandonner la politique de la réaction systématique. C’est dans le travail parlementaire, dans les propositions concrètes, dans la proximité avec les populations, que l’opposition retrouvera son souffle.
Le boycott n’est donc pas une stratégie en soi. C’est, au mieux, un signal. Mais pour peser demain, il faudra que cette opposition réapprenne à convaincre, à fédérer, et surtout, à proposer.
Tidiane Mansake TAMBA
Chevalier de l’Ordre National du Mérite (2013)
Spécialiste des Relations Publiques et de la Veille Stratégique.
Responsable PASTEF KOLDA
Similaire
Crédito: Link de origem