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Le pacte social du 1er mai 2025 ou la genèse d’un management

Le 1er mai 2025 pourrait bien entrer dans les archives symboliques du Sénégal comme un moment charnière, non pas uniquement pour sa portée syndicale, mais pour ce qu’il révèle : une mutation paradigmatique dans la manière dont le politique pense le social, le travail et l’économie.

 

En signant ce pacte national de stabilité sociale avec les forces syndicales et patronales, le gouvernement d’Ousmane Sonko a fait plus qu’un geste d’apaisement. Il a actionné les leviers d’un nouveau type de gouvernance qui mobilise, structure et redonne un sens systémique aux interactions nationales. Ce pacte, en apparence administratif, est en réalité une matrice organisatrice d’un changement de cap profond : il s’agit de la reconnaissance formelle que dans un monde en polycrise, seul un pilotage par l’intelligence connective peut activer les ressorts d’une souveraineté socio-économique durable.

Loin d’être une simple juxtaposition d’intérêts corporatistes, ce pacte est la manifestation d’un tout. Et ce tout ne se contente pas d’un compromis social ; il redéfinit les paramètres mêmes de ce que l’on pourrait nommer une stratégie nationale de reliance. Par reliance, on n’entend pas ici un synonyme affadi de « collaboration », mais un véritable processus de recodification des liens entre les institutions, les acteurs sociaux, les dynamiques productives et les imaginaires collectifs. Ce gouvernement semble s’inspirer, peut-être de façon empirique, de la théorie gestaltiste qui affirme que le tout précède, contient et transcende la somme de ses parties. L’État, en ce sens, devient une interface d’intégration, non une superstructure technocratique surplombante.

Ce qui se joue ici est bien plus qu’une stabilisation des tensions : c’est une mutation du logiciel managérial du pouvoir public. Une transmutation qui quitte le paradigme de la gestion linéaire des urgences sociales pour entrer dans celui de la complexité maîtrisée. La vision systémique portée par le programme Sénégal Horizon 2050 trouve ici son incarnation concrète : construire un espace économique et social compétitif en s’appuyant sur des logiques de mutualisation des savoirs, des volontés et des capacités d’action. Cette logique de la convergence structurelle révèle une compréhension fine des systèmes vivants et des écosystèmes sociaux. Il ne s’agit plus de décréter la paix sociale comme une fin en soi, mais de la co-produire comme condition émergente d’un agencement intelligent du réel.

Le narratif du développement est souvent accaparé par des matrices verticales, des modèles importés, des diagnostics figés. Ce que ce pacte inaugure, c’est l’émergence d’un récit horizontal, co-élaboré, où la conflictualité elle-même devient ressource d’innovation, et non obstacle à l’ordre. Le management de la conflictualité est ici élevé à un rang supérieur : celui de la régulation dialogique. Il met en œuvre une diplomatie sociale où les acteurs ne sont pas domestiqués mais responsabilisés, non pas marginalisés mais intégrés à une dynamique de co-pilotage. La véritable efficacité managériale, dans ce contexte, réside dans la capacité à faire exister un champ de co-sens, un espace cognitif partagé où la réalité est perçue comme transformable collectivement.

Cette approche, que l’on pourrait qualifier de cognitive-systémique, rejoint les fondements de la communautique : la capacité d’un groupe humain à générer du sens partagé, des normes ajustées, et une intelligence opératoire issue de la densité de ses interactions. Dans un pays historiquement traversé par des fragmentations multiples — géographiques, sociales, générationnelles — la volonté de bâtir un socle commun de stabilité sociale n’est pas simplement pragmatique. Elle est fondamentalement épistémologique. Elle reflète une vision du monde dans laquelle l’économie n’est pas détachée du social, ni l’efficacité de la justice, ni l’innovation de la solidarité.

Ce pacte, dans sa forme comme dans son esprit, constitue un artefact sociopolitique de grande valeur. Il inaugure une manière inédite d’institutionnaliser l’intelligence collective, de façon presque organique. Il ne s’agit pas d’imposer une volonté politique descendante, mais d’orchestrer un mouvement ascendant de co-construction sociale. En cela, il épouse une logique dialogique, proche des écosystèmes vivants : chaque partie y est à la fois autonome et interdépendante, chaque acteur conserve sa subjectivité tout en étant inséré dans une dynamique plus vaste. Le pacte devient un biome de coopération, une structure résonante, où la stabilisation du climat social n’est plus le fruit de la contrainte mais celui d’une adhésion structurelle à une vision commune.

Là où d’autres régimes ont souvent tenté de pacifier le social par le contrôle ou par l’achat momentané du silence syndical, le gouvernement actuel semble comprendre que seule une reconnaissance stratégique de l’autre peut fonder la paix sociale. Une paix qui n’est plus silence, mais harmonie. Or, dans les théories de la complexité, l’harmonie est toujours un phénomène émergent, jamais une donnée de départ. Ce que démontre cette initiative, c’est la capacité à générer du sens par la densification des interactions, par l’agencement symbolique d’un horizon collectif. Ce pacte est une machine à produire de la confiance. Or, sans confiance, aucun développement n’est possible.

C’est pourquoi ce moment du 1er mai 2025 peut être lu comme une scène fondatrice, un kairos républicain. À travers lui, un nouveau type de gouvernance semble se déployer : une gouvernance par la reliance. Cette reliance dépasse le simple fait de relier des institutions. Elle touche les imaginaires. Elle fabrique une scénographie de la collaboration. Elle inscrit l’acte managérial dans une trame culturelle où chaque citoyen est convoqué à devenir co-auteur du destin national. En effet, l’acte de signer un pacte, lorsqu’il est compris dans sa portée anthropologique, revient à instituer un cadre symbolique d’unification des récits. Cela redonne à la politique sa dimension première : celle de faire monde.

Ce que révèle ce geste, c’est une compréhension pragmatique et profonde de l’intelligence connective. Dans un pays en proie à la précarité, où les tensions sociales peuvent facilement dégénérer en mouvements de déliaison, parvenir à créer un mouvement de centripétie — c’est-à-dire un appel vers le centre — relève de l’innovation managériale. Ce n’est pas un détail rhétorique : il s’agit de maîtriser les lois invisibles de la dynamique sociale. Là où les intérêts divergents risquent la centrifuge, la vision du gouvernement vise la centripète, c’est-à-dire l’attraction vers un foyer commun de sens. Ce foyer n’est autre que l’idée d’un Sénégal souverain, équitable, productif et porteur d’une économie transformatrice.

La nouveauté réside dans l’ingénierie même du sens. En utilisant la signature du pacte comme un acte performatif, le gouvernement crée un précédent : il fait de l’anticipation une méthode de gouvernance. Non plus attendre l’explosion des colères ou les cris de la rue pour réagir, mais installer une culture de la régulation préventive, en amont, grâce à un outillage conceptuel et relationnel inédit. Cela s’inscrit dans les grandes théories du management de la complexité : l’important n’est pas d’éteindre les feux, mais de construire des architectures sociales qui empêchent l’inflammation. Il s’agit de fabriquer une robustesse systémique, une résilience cognitive. Et dans cette logique, le pacte devient un médium. Il n’est pas un simple document administratif, mais un artefact de reliance. Il fabrique un écosystème de sens dans lequel les syndicalistes, les employeurs, les travailleurs et les citoyens peuvent se reconnaître. C’est une boussole partagée. Il agit comme un méta-récit. Et tout méta-récit, dans les sociétés modernes, est ce qui donne de la consistance aux imaginaires collectifs. Il ne suffit pas d’avoir une stratégie ; encore faut-il que cette stratégie parle au cœur des gens, à leur dignité, à leur sentiment d’appartenance. Ce pacte parle cette langue-là : celle de l’avenir partagé, de la responsabilité distribuée, de la fierté retrouvée.

L’approche managériale ici à l’œuvre ne correspond à aucun manuel classique de gestion publique. Elle est beaucoup plus proche d’une ingénierie de la convergence, telle que la proposent les théories de l’intelligence collective. Faire converger les désirs, les peurs, les ambitions et les contradictions, c’est l’un des défis les plus complexes du leadership contemporain. Or, le gouvernement semble avoir compris qu’il n’est pas nécessaire d’unifier par la force, mais par la vision. Cette vision, portée par Sénégal Horizon 2050, donne un horizon structurant à la société. C’est un cadre symbolique dans lequel les différences ne sont pas niées mais orientées vers un but supérieur.

On touche ici à la dimension cognitive du management moderne. Le manager n’est plus un simple chef d’orchestre. Il est un modulateur d’énergie, un designer de cohérence. Ce rôle, dans un État, revient aux plus hautes sphères du pouvoir. Et c’est précisément ce que l’on observe dans cette séquence politique : une volonté de transformer le rapport au réel en instaurant une architecture cognitive collective. Cette architecture repose sur la co-interprétation du présent et la co-construction du futur. Elle permet l’émergence d’une écologie des idées, c’est-à-dire une manière saine, durable et synergique de produire du sens ensemble.

Dans Communautique et intelligence collective, j’ai montré que ce qui fonde la robustesse d’une communauté n’est pas son homogénéité, mais sa capacité à faire de la diversité une force. Ici, cette hypothèse trouve une vérification politique. Le pacte n’efface pas les divergences, mais les inscrit dans un processus dialogique qui les transforme en ressources. C’est la logique du vivant : l’adaptation naît toujours de la rencontre entre le chaos et l’intention. Le Sénégal de 2025 semble prêt à franchir ce cap : transformer les énergies dissipées en énergies synchronisées, faire de la crise une opportunité systémique.

Il ne faut pas se méprendre : rien n’est gagné d’avance. Ce pacte est un début, non une fin. Sa réussite dépendra de la capacité à maintenir vivante la dynamique enclenchée. Cela suppose des mécanismes d’écoute continue, des instances de dialogue ouvertes, des protocoles de régulation agile. Mais le plus important est déjà acquis : l’acte symbolique, l’affirmation du vouloir-vivre-ensemble, la reconnaissance de l’autre comme acteur légitime de la transformation. À ce titre, ce 1er mai 2025 peut être lu comme un acte de foi républicaine, un pari sur l’intelligence collective comme force motrice de l’histoire.

Cette lecture de la nouvelle dynamique sociale se voulait diachronique et pédagogique. Elle est aussi prophétique. Car à travers ce pacte, c’est un Sénégal en renaissance que l’on entrevoit. Un Sénégal qui comprend enfin que la stabilité ne se décrète pas, elle se cultive. Elle est le fruit d’un engagement partagé, d’une capacité à penser grand ensemble, d’une volonté à co-construire un avenir équitable. Ce que nous avons vu ce jour-là, ce n’est pas une signature. C’est l’émergence d’un style. Un style managérial fait de reliance, de vision, de dignité. Et cela, pour un pays, vaut toutes les réformes.

Dr. Moussa SARR (Moise Sarr)

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