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« La loi 2024-06 sur l’OFNAC est un piège

Ne serait-ce que sous l’angle des pouvoirs exorbitants de son « super-président », octroyés par l’article 2 de la loi n° Loi n• 2024–06 modifiant la loi n• 2012-30 portant création de l’Office national de lutte contre la fraude et la corruption (OFNAC), une réforme est plus que nécessaire pour rétablir l’équilibre rompu à plusieurs égards, comme nous le verrons plus haut, sans aucun mobile de dénigrement.

 

En réalité, le président de l’OFNAC est plus puissant que tous les organes réunis des parquets existant au Sénégal, dans les domaines de compétences de l’office, à savoir la corruption, l’enrichissement illicite, la fraude (…). Au regard de l’article 2 de ladite loi.

Sur la forme, la comparaison des deux textes donne un résultat suspect. Par exemple, le texte de loi 2024-06 modifiant la loi 2012-30 devient subitement très long et passe d’un document de 1717 mots à un texte long de 3640 mots. Son article 2 passe de 2 lignes à 17 alinéas consacrant des pouvoirs « exorbitants » taillés sur mesure pour le Président.

« … le Président de l’OFNAC, … mener les enquêtes relatives aux infractions de la compétence de l’Office … »

« … Sur instruction du Président de l’OFNAC et sous sa direction ainsi que son contrôle. »

« Le Président de l’OFNAC peut, sur… »

« Le Président de l’OFNAC est seul compétent pour effectuer la mise en… »

« Au jour fixé, le Président de l’OFNAC entend la personne concernée, assisté … »

« … Le président de l’OFNAC lui fait ensuite connaître les résultats de l’enquête en ce… »

« Le Président de l’OFNAC met ensuite la personne entendue… »

« … le Président de l’OFNAC classe le dossier sans suite. »

« … le Président de l’OFNAC peut adresser directement ses instructions aux enquêteurs assermentés. »

« Le Président de l’OFNAC peut, par réquisitions écrites, en dessaisir cette autorité qui est tenue. »

Le mot « Président » revient au moins 11 fois sur cet article substantiel. Une preuve de la superpuissance d’un Président qui incarne l’organe et joue presque tous les rôles. Sur ce point, la nouvelle loi (annoncée par le Premier ministre Ousmane Sonko lors de la session relative aux questions d’actualité du 14 avril 2025) devra rompre le déséquilibre. Car il ne serait pas pertinent de faire adopter une nouvelle loi uniquement dans le but de changer la personne du Président. D’ailleurs, à sa place, je mettrais le régime à l’aise.

Cette superpuissance du président de l’OFNAC n’est pas une tare congénitale à la loi 2012-30 portant création de l’office. Mais plutôt une résultante de la loi 2024-06 introduite par le gouvernement du président sortant, dans la foulée de la loi 2024-05 portant amnistie. Les difficultés posées par cette loi ne se limitent pas à cela. D’ailleurs, l’analyse de fond des points suivants démontrera à suffisance que cette dite loi (2024-06) constitue un véritable « piège » eu égard aux trois principaux points suivants :

  1. Un président superpuissant et indéboulonnable, sauf à réformer la loi 2024-06 :

En fait, le président de l’Office est nommé par décret« pour une période de cinq (5) ans renouvelables une fois ». Dans la loi initiale (2012-30) la durée était limitée à trois ans. Il « exerce ses fonctions à titre permanent ». L’article 6 dispose qu’il « ne peut être mis fin, avant leur terme, aux fonctions du Président de l’OFNAC qu’en cas de décès, d’empêchement, de démission ou de faute lourde ». Non seulement il est indéboulonnable, mais aussi ses prérogatives sont herculéennes à l’image de cette disposition selon laquelle « les enquêtes se font sous la direction et le contrôle du Président » (cf. article 2).

Aujourd’hui, il faut admettre que l’actuel Président de l’OFNAC pourra difficilement collaborer avec les nouvelles autorités. Peut-être qu’une démission de sa part pourrait être une solution pour mettre les autres membres de l’office à l’aise. Car il serait peu probable que cet ancien procureur vienne entamer des poursuites contre des dignitaires de l’ancien régime avec qui il a étroitement collaboré en tant que procureur d’abord, puis en tant que chef de l’OFNAC avec des pouvoirs taillés à sa mesure dans cette loi qu’on pourrait même nommer loi « Sergine Bassirou GUEYE », pour ne pas nommer mon « Domou BAYE ».

  1. Un président qui peut « d’office » dessaisir d’autres juridictions

L’une des dispositions qui passe presque inaperçue et qui n’est pas moins lourde de conséquences est l’article2, alinéa 15, en vertu duquel « S’il estime que les faits pendants au niveau d’une autorité d’enquête sont de sa compétence » (par exemple, le procureur ou le juge d’instruction du parquet financier), « le Président de l’OFNAC peut par réquisitions écrites en dessaisir cette autorité qui est tenue de se conformer auxdites réquisitions dès qu’elle en a connaissance, quel que soit le moyen. » Et l’article 19 vient poser des sanctions en cas de refus en disposant que « toute entrave au fonctionnement de l’OFNAC est punie d’une peine d’emprisonnement de deux à cinq ans et d’une amende de 5.000.000 à 50.000.000 de francs ».

Je rappelle qu’en vertu de cette loi, qui par ailleurs élargit son champ de compétences (ce qui est pas mal), l’OFNAC peut intervenir sur les infractions de fraude, de corruption, d’enrichissement illicite et toutes pratiques assimilées ou infractions connexes. Bizarrement, malgré la clameur publique concernant des cas d’enrichissements illicites, de fraudes, entre autres, aucun présumé délinquant ne se bouscule à l’Office. D’où, là encore, une raison suffisante de réformer afin de mieux prendre en charge ces cas, sans risquer des tentatives de médiation à l’ « amiable ». J’ai envie de dire qu’à l’heure actuelle rien n’empêche le « superprésident » de l’OFNAC de dessaisir, par simple requête, le parquet financier des dossiers en cours concernant certains hommes politiques très connus. Surtout au moment où certains avocats sollicitent cette procédure pour leurs clients qui continuent à proposer des sommes colossales.

3.Un dangereux pouvoir de médiation pénale à l’exclusivité du Président :

Dans l’exposé des motifs de la loi n° 69-788 du 4 juillet 1969 modifiant l’article 140 du code de procédure pénale, j’ai trouvé un paragraphe très intéressant disposant que « tout d’abord l’article 140 du code de procédure pénale, en subordonnant la possibilité d’accorder la mise en liberté provisoire au remboursement de la totalité des sommes ou objets détournés, est de nature à inciter l’agent public à risquer « sa chance » en pensant que, s’il est pris, il lui suffira de restituer ou de rembourser pour échapper à la détention préventive ». Cela démontre en réalité la dangerosité de laisser la liberté de « négocier » à l’exclusivité d’un seul homme, le président de l’OFNAC, sans nécessité de statuer en collégialité. Avec les dispositions de la loi 2024-06, le Président peut avec une facilité déconcertante non seulement dessaisir les autres juridictions, mais aussi mettre fin à l’action publique grâce à une médiation pénale dont il a l’exclusivité en vertu de l’article 2-4 qui dispose clairement que « le Président de l’OFNAC peut, sur proposition de la personne mise en cause, procéder à une médiation pénale dans les matières de sa compétence » , avant d’ajouter que « la signature du procès-verbal de médiation pénale éteint l’action publique ». Cette option est d’ailleurs l’une des innovations de la loi 2024-06.

Il suffit juste pour tout « délinquant financier » de solliciter la volonté du Président pour décrocher une médiation pénale dont les contours sont laissés à la volonté exclusive de ce dernier, avec pour conséquence directe l’extinction de l’action publique.

Enfin, voici, exposées ci-dessus, plusieurs raisons justifiant la réforme annoncée et urgente de la loi relative à l’Office national de lutte contre la fraude et la corruption (OFNAC). Cette loi 2024-06 modifiant la loi 2021-30 portant création de l’office apporte un certain nombre d’innovations positives qui entrent en droite ligne avec les principes de la bonne gouvernance, de la lutte contre l’enrichissement illicite et la corruption posés notamment par la Convention des Nations Unies contre la corruption ainsi que par la Convention de l’Union africaine sur la prévention et la lutte contre la corruption adoptée à Maputo en 2007 et par le protocole de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) adopté à Dakar le 21 décembre 2001.

Mais elle demeure très critiquable sur les points qui offrent, sur un plateau d’argent, des pouvoirs injustifiés non pas à une juridiction, mais à une autorité administrative indépendante, plus forte et vraisemblablement supérieure aux tribunaux institués par la constitution. D’où la nécessité et la pertinence d’opérer rapidement des changements pour revenir à un équilibre et permettre à cet office de jouer son vrai rôle en toute équité. Nous espérons seulement que les réformes annoncées par le Premier ministre Ousmane Sonko toucheront les points saillants. Et pourquoi ne pas d’ailleurs aller dans le sens de l’instauration d’un véritable parquet fort à la place d’un président fort, pour l’OFNAC qui peut être plus qu’utile pour désengorger les juridictions de droit commun.

 

Amadou GUEYE

Juriste, Président de YITTE SENEGAL

Cadre à l’AGETIP

Chercheur en législation routière

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